Croissant de Lune et Soleil de Plomb [ Antoine Carter & Sheitan Belial ? ]

Il était tôt. Madame Brasset attendait son journal quotidien, Zack se devait de se lever tôt, comme chaque matin. Ce n’était pas pénible pour lui. Il avait l’habitude. Les premiers rayons du doux soleil matinal de juillet ouvraient les yeux délicats du vagabond. Ses journées étaient toutes identiques, il fermait sa fenêtre qu’il avait laissé ouverte toute la nuit et éteignait sa bougie à la citronnelle qui lui permettait de ne pas être couvert de la marque de passage de moustiques et différents insectes volants. Il passait le couloir du premier étage du pavillon Brasset et entrait dans la pièce du fond, la salle d’eau. Il se débarbouilla en se regardant dans le miroir, de toute façon il prendrait une douche le soir après avoir rempli toutes ses tâches pour la grand-mère. Sa peau était toujours aussi belle, elle devenait de plus en plus hâlée avec l’été qui noyait la foule d’une chaleur pesante et d’un soleil pénétrant les pores de l’épiderme. Il entendait la maison se réveiller, la propriétaire sortait un bol qu’elle posa par terre, le bruit de la terre cuite sur le carrelage résonnait dans la totalité de la maison comme un bruit cristallin. Mistigris, le chat de la maison était un chat gris tigré de noir, un superbe félin, une bête sympathique, douce et bien dressée. Zack en sous vêtements sortit de la douche pour se rediriger vers la chambre qu’il occupait, la chambre était petite, une chambre d’enfant à l’origine mais réorganisée pour la venue du petit nouveau, elle possédait un lit, une armoire remplie de vêtements qui appartenaient certainement aux enfants, devenus grands, de la vieille femme. Par habitude Lacroix sortit un haut et un pantalon simple qu’il enfila. Habillé de blanc et de bleu, il était prêt pour commencer sa journée. Son t-shirt blanc orné de lignes bleues était simple et un peu court pour lui, mais il aimait tant son odeur, la lessive et le séchage au soleil sur une corde à linge disposé en début d’après midi. Le linge restait frais, son odeur était comparable à celle des fleurs du jardinet de Bénédicte. Descendant le petit escalier de bois qui faisait le lien entre les deux étages il croisa cette dernière en robe de chambre. La dame était âgée mais restait classieuse, belle et douce. Il l’embrassa sur la joue en lui annonçant le programme de la journée. Elle sourit et lui souhaita une bonne journée. Zack passa par la cuisine où il passa sa main sur le chat, en lui souhaitant lui aussi une bonne journée. Il prit un gâteau sec préparé la veille par la vieille dame. Il l’enfila entier dans son gosier puis le mâcha avec difficulté. Il passa ensuite le salon puis la porte d’entrée. Il la referma après lui une fois habitué à la lumière et au changement de température. Il était tôt, et il faisait frais, le soleil quand à lui avait décidé de chauffer là où il était présent. Un vent frais et un astre bouillonnant, quel temps spécial, mais agréable.

Un chemin de gravillons séparait le pied de la porte et la barrière minuscule qui faisait office de délimitation entre le trottoir et la propriété entourée d’une haie à hauteur d’enfant. IL n’avait que quelques mètres pour aller chercher le journal, mais ce matin il avait envie de prendre un croissant pour celle qui lui permettait encore de vivre. Par habitude il salua le vendeur du kiosque à journaux et répondit à ses question avec politesse en lui demandant en retour s’il allait bien et s’il avait prévu de partir en vacances. Quand on lui posait des questions Zack avant tout prévu, ici il était le petit fils de madame Brasset et il était là pour les vacances scolaires, si jamais il s’éternisait ici, il devrait trouver une autre excuse, mais il avait encore deux mois. Il remonta la rue, le journal à la main pour se diriger vers la boulangerie. Il fouilla dans ses poches où il avait glissé la monnaie sans compter par confiance avec le vendeur, il lui manquait une toute petite pièce pour s’acheter cette viennoiserie qui ferait tant plaisir à celle qui lui apportait le bonheur. Alors par réflexe se dit qu’il ferait un petit tour de passe-passe pour impressionner quelqu’un qui n’avait pas l’air d’ici et donnerait sans compter un fond de poches. Il repéra une jardinière remplie de géraniums il en cueillit un et attendit le premier passant. C’était un jeune garçon, d’environ le même âge que Zack. Zack n’avait pas d’amis et s’en fichait, il avait Bénédicte, et puis même il n’était pas là pour longtemps.

"Excuses moi tu veux un tour de magie?"

Et sans attendre la réponse du jeune garçon, Zack s’exécuta, il mit la fleur entre ses mains de manière à la cacher totalement du soleil, puis ferma les yeux. Il se concentra un instant et desserra son étreinte sur la plante. Les doigts délicats du magicien improvisé laissèrent place à une fleur séchée, les pétales recroquevillés sur eux-mêmes tombèrent au sol ou se déposèrent sur le jean de Zack. Le jeune garçon en face de lui ne disait rien. Zack n’ayant pas perdu de vue son objectif tendit les mains où se tenaient encore les restes de la magnifique fleur rose d’avant. Zack avec une voix douce déclara qu’il ne voulait qu’une simple toute petite pièce et baissa les yeux. Oui car il avait étudié toute l’attitude qu’il fallait pour mendier, les gens ne donnaient que moins quand il y avait politesse et regards francs, alors qu’un regard fuyant et une tête baisse faisaient plus "réaliste", plus "clochard". Zack se fichait de l’image qu’il donnait de lui, pourvu qu’il donne le maximum pour celle qu’il aimait.

Le jeune garçon se présenta après avoir rempli les mains ouverts de Zack, de quoi acheter bien plus qu’un simple croissant était disposé en tas désorganisé entre ses dix doigts. Zack n’était pas si étonné que cela, les jeunes avaient habitude de donner plus que les autres. Leur insouciance et leur générosité étaient une qualité pour le magicien des rues, et il les remerciaient à chaque fois.

"Je me nomme Zack Lacroix, enchanté vertueux Antoine."

Se présentant à son tour il sourit à la question de ce bienveillant altruiste puis répondit le plus simplement.

"Une magie sans secret n’a plus d’intérêt et je veux continuer d’ébahir des personnes comme toi. En tout cas merci pour la monnaie, je te suis reconnaissant."

Zack glissa au fond de la poche de son pantalon les quelques pièces qui sonnaient et s’entrechoquèrent musicalement pendant leur chute. Il regarda tendrement le jouvenceau en plissant les paupières et afficha ses dents de devant. Le soleil était en pleine course vers le haut du ciel, la lune quand à elle avait presque totalement disparu, bien qu’elle était présente quelques secondes plus tôt. La vie est une grande magicienne qui nous cache maintes choses. Les nuages quand à eux changeaient de couleur avec l’heure, d’un rose calme et apaisant à un orange vif ils étaient maintenant blancs comme neige. Surprenante façon qu’il avait ce jeune homme à se tenir devant lui, sourire aux lèvres, presque béat d’admiration mais pourtant n’attendant rien de lui certainement. Quelqu’un de bien, c’était ce qui résumait la première impression du jeune garçon. Il ressemblait à cette vieille Brasset, toujours une voix agréable et guillerette, comme si tout allait toujours bien, un ton pour le moins paisible, quelqu’un de calme. Zack était content de ne pas attendre des heures avant de bénéficier de l’aide d’un Antoine Carter numéro deux. Il n’avait qu’à peine attendu une minute sur le bord du trottoir menant à la boulangerie qui dégageait des odeurs à donner faim à un anorexique. Le pain frais qui se vendait là était certainement le meilleur de la région, d’ailleurs Zack en savait un rayon sur le pain. C’était la nourriture la moins onéreuse et la plus nutritive, lorsqu’il avait faim et peu d’argent, c’est-à-dire la majorité du temps, il achetait une baguette ou un pain brioché. Et cette boulangerie, en plus d’être en possession d’un excellent produit avait de charmantes boulangères avec qui il conversait de temps en temps de tout et de rien. Une fois même il s’était vu offrir un sachet de friandises par la patronne après avoir expliqué que lui non plus n’aimait pas l’hiver. C’était Brioude, une ville charmante, une ville paisible, loin de tout et pourtant proche du monde, une ville où la forêt était un lieu de promenades génial et dépaysant, une ville où rien d’étrange comme Zack pouvait arriver.

"Je dois y aller Antoine, je te remercie encore une fois et te souhaite une bonne journée."

Zack se dirigea vers la boulangerie après cet au revoir et passa le bonjour à la vendeuse. Elle portait un tablier blanc et un pantalon noir zébré de farine. Il fut bref, il demanda deux croissants car il y avait de quoi se les payer. Il repartit un croissant à la main et l’autre dans un sachet en papier replié soigneusement. D’une main il portait ce qui était destiné à Bénédicte et de l’autre il prit une bouchée de l’excellente pâte feuilleté. En poussant la porte après de conventionnels formules de politesses, il fut surprit de se faire interpeller par le jeune garçon qui l’avait tout à l’heure aidé. Il l’avait suivit jusque ici et l’attendait depuis certainement un petit laps de temps devant l’épicerie. Mais pourquoi ? Il était souriant et commença à prendre la parole.

Zack avait tant de choses à dire sur ce qu'il était capable de faire, mais garderait le tout secret. Comme si dire à quelqu'un de rationnel qu'il était accablé d'un don néfaste et versatile capable de donner la mort était une bonne chose à faire. À la place Zack le sourire aux lèvres prit un bout de son croissant et le déchira comme une feuille de papier épaisse.

"Tiens une partie de ton argent est parti dans ce croissant il n'est pas question que tu en refuses la moitié."

Il déposa dans sa main presque ouverte la viennoiserie encore chaude de sa cuisson. Il continuait sa marche à côté de l'étrange étranger. Ils se dirigeaient tout deux dans les rues que connaissait comme sa poche vide le nomade. Zack vivait seul, il vivait pour madame Brasset, pour son bonheur, lui donner un peu de son temps, comme elle qui lui donnait beaucoup de son amour. Alors Zack réfléchit quelques secondes et arriva à la conclusion que cet Antoine n'était pas un amateur de magie, alors si ce lambda s'intéressait à lui, c'était pour ce qu'il avait fait. Pas seulement pour le comment, non juste pour le quoi. Il voulait mettre un nom sur cette faculté que le jeune blondinet ne pouvait nommer, pouvoir? Aptitude? Spécialité?

Marcher le matin était agréable, le bitume était frais, le soleil ne brûlait pas encore les peaux laiteuses, l'air était humide encore. Accompagné d'un interrogateur c'était tendu, stressant. Il mâcha une bouchée de la pâte feuilleté, et ensuite prit la parole pour répondre à ces questions d'une manière anodine.

"Te dévoiler le tout serait plus simple, te dire que j'ai la capacité physique de transformer le vivant en mort, de le faire vieillir rien qu'en me concentrant, oui ça accélèrerait les choses. Mais on peut tout de même utiliser ta méthode."

Il était malin tout de même, car il pourrait se rétracter et rire un bon coup si ce jeune homme était choqué si ce n'était pas le cas, il apprendrait de lui certaines choses, tout est bon à prendre, et puis de toute façon, Zack ne devait pas rester longtemps. Il trouverait quelque chose plus loin, s'en irait à la fin de l'été, travaillerait quelque part, enverrait une carte par semaine à Bénédicte et puis plus personne ici n'entendrait parler de lui.

Le bruit des graviers rythmait les pas et Lacroix ne relevait pas la tête, marchant les bras pliés pour soutenir ses emplettes, le regard vers ses chaussures délabrées comme le muret d'une vieille cabane à outils. Les oiseaux faisaient parfois leur apparition sonore, le bruit de la ville s'élevait, mais les deux semblaient seuls dans cette rue assez étroite. Elle n'aurait pas contenu deux voitures côte à côte. Mais les deux semblaient tenir l'un à côté de l'autre sans se toucher.

Après tout, avoir un ami ici n'aurait pas été un problème et Antoine correspondait aux critères du garçon sympathique, aimable et discret. C'était ça la clef, ne pas se retrouver nez à nez avec les commères du coin, les gens qui auraient étés trop collants ou qui auraient pu faire du mal à sa grand-mère adoptive.

Frôlant ses doigts glacés, Zack étudiait quelle genre de personne était Antoine. Gentil c'était indéniable, curieux, certainement, crédule aussi, c'était des caractéristiques d'enfant. Zack aimait bien les enfants après tout, et puis leur insouciance et la vérité qu'ils utilisaient si bien était une preuve de sincérité et d'affection. Car un enfant ment, mais seulement aux inconnus. L'adulte est pire, il ment surtout à ceux de son quotidien. Quelqu'un ne connaissant que d'usage l'expression ''jouer avec le feu'' ne pouvait pas comprendre ce que faisait ni vivait à l'instant le petit blond. Il était surpris de la réaction du jeune garçon à ses côtés et surtout de ce qu'il allait demander. Ses propos étaient totalement en décalage avec ce qu'il venait de se passer.

"Non c'est mon vrai nom."

Zack soupira, découragé, comme si le jeune garçon était ailleurs, son interlocuteur était dans sa bulle d'insouciance, c'était agréable mais à ce moment de la conversation, Lacroix, pilleur des bonnes âmes aurait voulu plus de sérieux, plus d'étonnement. Même s'il pouvait retourner la situation n'importe quand ce n'était pas comme s'il venait d'annoncer qu'il aimait le nouveau tube de l'été et qu'il l'avait entendu hier après midi à la radio. D'ailleurs ce vieux transistor il l'aimait tant, il écoutait du jazz ou de la musique un peu plus rock'n'roll, enfin il ne connaissait pas le nom exact mais il se souvient que lors de ses nombreux déplacements, chaussures trouées il écoutait dans les rues les mégaphones qui discrètement, diffusaient certaines chansons redonnant baume au cœur. Allongé sur le bain de soleil une fois les tâches quotidiennes achevées, il s'accordait un moment de pause, écoutait quelques titres et dès qu'il tombait sur un spot publicitaire ou les informations du jour il s'en allait en forêt après avoir éteint le poste à piles.

Revenons à nos deux jeunes compagnons de ruelle, ils étaient côte-côte, et semblaient tisser des liens différents, comme une certaine compréhension l'un vers l'autre. Comme si l'un comme l'autre savait ce que l'autre pouvait endurer, sans en être sûr et certain. C'est quand le petit brun lui posa la seconde question que tout redevint normal. C'était logique, c'était prévu, il était lui aussi comme Zack, il n'était pas le fruit du hasard, il n'était là que pour le guider. Pour l'aider dans sa vie nouvelle d'homme nouveau. Enfin de petit homme nouveau.

"Tu l'as bien compris."

Cette question était très large et Zack préférait ne pas s'attarder sur le sujet, il n'avait ce don que depuis quoi, deux, trois, six mois peut-être? Et puis inexplicable? Bien entendu que si, la colère avait révélé en lui cette forme de violence physique qui se contrôlait mentalement de A à Z. C'est quand le jeune garçon en face de lui énonça une école de gens ayant le même fardeau que lui était ici, qu'il comprit que le destin existait. Sinon qu'est ce qui l'aurait mené ici, les étoiles peut-être mais ne sont-elles pas des messages divins à l'intention des mortels?

"Alors si tu veux que je te crois, emmènes moi là-bas !"

Voilà c'était fait, si il refusait, c'était totalement faux et leur rencontre était une déception supplémentaire, s'il acceptait, alors il connaitrait enfin la joie de se sentir moins seul. Il ne devait pas en dire plus sur lui, éventuellement lu faire peur, l'impressionner mais jamais tout dévoiler. Après tout, il n'était pas confirmé qu'il était un ''mutant'', mais Zack avait l'air sérieux quand il le voulait.

Il est de ces jours où même le ciel semble être contre vous. Cette journée s'annonçait magnifique, mais dans l'esprit du professeur elle était terrifiante. Il avait enfin eu une réponse, un mot de son père et celui-ci attendait des résultats. La veille, le téléphone portable que Alexis Oroshi lui avait confié s'était mis à sonner. Sheitan s'était mis à paniquer et avait décrocher pour entendre la voix glaciale de son père, ce dernier fut très concis, il était temps pour Sheitan d'agir. Le jeune homme expliqua qu'il n'avait pas encore trouvé son demi-frère. Seulement pour son père il devait arrêter de jouer, il voulait des résultats le plus tôt possible. Après une assez courte conversation, mais plutôt intense pour le jeune homme, il fut donc décidé que le docteur Belial devait continuer ses activités dans l'institution et sa mission avait un peu changée. Il devait toujours trouver Kiryu et l'envoyer le plus tôt possible à Delilah, mais maintenant qu'il avait identifier la plupart des élèves, l'idée était qu'il envoie les plus manipulables à l'organisation. Sheitan n'aimait pas vraiment cela, car ça le mettait en avant et il allait sûrement être soupçonné.

Mais comment faire face à son père ? Il ne pouvait rien lui refuser et savait que celui pensait à tout, alors normalement il ne prenait pas de risque en acceptant ses missions. Seulement l'idée de se faire griller ne laissait pas son esprit en paix. Le professeur se plaisait dans l'environnement de l'institution, il y vivait exactement comme il le voulait... Et puis ce jeu était tellement amusant, il n'avait pas hâte de trouver son demi-frère, il préférait bien plus imaginer la scène, où cela se produirait, quand, comment ils agiraient... Tout cela le motivait à ne vivre qu'une existence calme...

Sauf que ce matin-là, quand il se réveilla après avoir rêvé d'une vie simple et monotone, le jeune docteur se haït. Comment pouvait-il imaginer de telles choses pour lui ? Il était tellement loin des autres humains, de leurs habitudes, de leurs songes. Il était le mal, il avait été élevé pour détruire la vie des autres et c'était tout. Cependant, il avait besoin d'air, recevoir un appel de la sorte n'était jamais une bonne nouvelle, même pour lui.

Le jeune homme sortit donc de son lit avec une petite mine et se dirigea directement vers sa salle de bain où une douche peut-être salvatrice l'attendait. Le soleil venait tout juste de se lever, Sheitan était naturellement matinal, c'était un bourreau de travail que les dures cadences de ses métiers n'affectaient pas. Il prit une douche chaude, tournant le robinet d'eau chaude au fur et à mesure pour la terminer glacée, cela avait tendance à le réveiller assez rapidement, sauf qu'à ce moment là, ce n'était pas être réveillé qu'il souhaitait, c'était plutôt que la chance qui lui manquait revienne. Car pour plaire à son père, il en aurait énormément besoin.

Bientôt Sheitan se retrouva dans les couloirs à marcher en direction du self, car s'il pouvait se passer d'un peu de sommeil, ce n'était pas la même histoire pour ce qui était de la nourriture. Sans être un gouffre sans fin le jeune homme avait besoin que son estomac soit bien rempli pour commencer la journée. Il eut tout le loisir de réfléchir sur ce qu'il allait faire. Et malgré que ce jour qui venait de débuter pour lui était le dernier de la semaine, cela ne le déchargeait guère de ses fonctions, le bippeur se trouvant dans la poche de son pantalon pouvant le rappeler à l'ordre à tout moment, bien que le docteur aurait bien aimé pouvoir « l'oublier » dans sa chambre.

Il lâcha un soupir en même temps qu'il ouvrit une porte pour sortir du gigantesque bâtiment. Il avait vraiment envie et besoin de prendre l'air et cela ne ressemblait pas franchement à une lubie. Le docteur Belial fit ce qui était un mauvais exemple pour les jeunes de l'institution : il s'alluma une cigarette. C'était un signe de stress et d'anxiété chez lui, autant dire que le jeune homme n'était vraiment pas dans son assiette.
Le mutant termina rapidement le bout de papier remplit de tabac qui réduisait son espérance de vie et l'écrasa dans une petite boîte, en tant que amoureux maladif de la nature, il n'était pas question, pour celui qu'on pourrait surnommer « Le botaniste » à cause de son pouvoir, de jeter son mégot au sol.

Alors qu'il se promenait, profitant du calme de cette matinée, le professeur s'aperçut qu'il était à l'entrée de l'institution. Il y vit Antoine au loin, cet élève l'avait accueilli à son arrivée et il était resté en bon termes avec lui. Mais celui-ci était accompagné d'un autre jeune garçon, dont Sheitan n'avait aucun souvenir. Étant assez éloigné d'eux il décida de suivre leur chemin, intrigué. Les deux enfants se dirigèrent vers le bâtiment principal qui était aussi celui du hall d'entrée. Le jeune homme ne cacha alors plus sa présence s'approchant délibérément d'eux et surpris leur conversation. Il était alors sûr que l'inconnu n'était pas de l'institution.

« Les visites sont interdites sans l'accord du Directeur. »

Il allait sûrement faire effet sur les deux garçons, leur ayant parlé en approchant sa tête de leurs oreilles juvéniles, il s'attendait à un sursaut minimum, avant qu'ils ne se retournent pour le voir. Mais, ne faisant pas attention à leurs réactions, il poursuivit.

« Si tu désires t'inscrire ici, je peux m'occuper de ton cas, je suis professeur et docteur ici. Je serai plus apte qu'un élève à vérifier ton pouvoir. Si Antoine n'y voit pas d'inconvénient... »

Un regard persuasif suffirait sûrement... Et puis après tout il y avait un règlement à respecter, c'était déjà assez beau que Sheitan ne parle pas d'une éventuelle punition au gamin pour avoir amener un étranger ici...

Depuis plusieurs mois, Zack avait rêvé de ce moment, trouver enfin un foyer, une famille, une école, recouvrir une vie normale. Le petit Antoine, bien que très gentil avait des propos choquants, parler de liberté, comparer les heures passées dans le froid sur des trottoirs emplis d'immondices pour tendre la main à quelques bourgeois ne daignant pas donner un sou. Non la vraie liberté c'est de se coucher le soir en se disant que demain il ne pourra rien arriver de mal, que même si les journées se ressemblent, elles sont toutes enjouées et se passent le ventre rempli et le corps lavé. C'était la liberté selon Zack. Mais en marchant pendant la petite heure à échanger des propos banals et adolescents, il réfléchissait à un moyen d'entrer dans cette soit-disant école. Si elle existait elle devait être payante et le mendiant n'avait pas de quoi se payer un toit ni des études en ce moment. La grand-mère Brasset ne pourrait pas se charger des frais d'inscription et de pensionnat ni quoi que ce soit. D'ailleurs il aurait fallu voir la dite école pour y croire car marcher dans la forêt même éclairée n'était pas une partie de plaisir en ce début de matinée.

Le petit blondinet venait de penser qu'il avait oublier de rapporter le journal et le tenait toujours, ainsi qu'un croissant sous son bras droit. Le sentier de terre battue était long, très long, les êtres vivants dans ce sous bois semblaient tourner leur regard vers le binôme.

"On veut toujours ce que l'on n'a pas... j'ai tord?"

Il n'avait pas franchement envie de répondre à cette question, d'ailleurs s'il se disait être capable de faire quelque chose de si spécial, l'avait-il entrainé dans cette forêt pour le tuer, à l'abri des regards de la ville, non pas ce jeune garçon, il ne lui aurait pas donné argent et confiance en si peu de temps. Antoine avait beau être très naïf il n'était pas un salaud. Le plus dur des deux était certainement Zack, bien que généreux et aimable il dégageait une certaine froideur, une haine envers l'humanité entière, mais lui, ce Antoine n'était-il pas comme lui, n'était-il pas partiellement humain et partiellement affligé d'un poids. Lui seul pouvait le comprendre à présent mis à part si quelqu'un venait lui aussi faire son apparition et révéler une faculté unique.

La crise cardiaque était proche quand le portail d'entrée rencontra le regard de Zack, le jeune garçon resta bouche bée devant le spectacle fascinant, caché par tous les arbres, personne ne connaissant l'endroit, il fallait dire que celui qui avait bâti cet édifice quelque peu spécial avait du cran et de la logique. C'était magnifique, une école de style américain ou japonais, ou même française, non Zack ne savait plus, il n'avait pas fréquenté une école depuis si longtemps.

"Non, c'est... juste parfait."

Oui cela l'était, maintenant il fallait entrer, se faire une place, et puis repartir de zéro. Se refaire un nom, oublier son passé, forger un avenir aussi puissant que sa carapace de fer. Entrant tous deux dans le bâtiment stupéfiant tout de ver et de charpentes solides, de béton, de plâtre et de matériaux que le jeune garçon ne saurait même pas prononcer, il fût stupéfait par le monde à l'intérieur, déjà dans la cour d'entrée un bon nombre d'élèves jouaient, parlaient et vivaient normalement derrière les grandes grilles et tours du chemin d'accès, mais les étudiants à l'intérieur étaient passionnants.

Quelqu'un approchait quand Zack voulut poser la question au sujet de l'inscription. C'était un homme mature, une trentaine d'années certainement, le cheveux brun, la voix puissante et racée, cet homme était un modèle, il faisait pétiller l'œil de celui qui sous le bras froissait le papier journal. Il interpella le duo de choc par surprise, leur parlant de l'interdiction de quelque chose. Mais Zack, contemplant le spectacle qui s'offrait gratuitement à lui ne réagit guère, préférant le silence à la bêtise. Ensuite il vint à parler du pouvoir de Zack, de sa future inscription et de choses qui l'intéressaient vraiment. Alors avant qu'Antoine puisse répliquer il ouvrit la bouche :

"Je veux bien professeur, je conçois que maintenant que je suis au courant de l'endroit où se situe un pareil rassemblement de gens, la porte de ce lycée me sera grande ouverte à condition que je garde ma bouche fermée n'est-ce-pas?"

Il était diplomate et débrouillard pour son âge, mais ne connaissant pas la limite des pouvoirs des autres il aurait peut-être mieux fallut qu'il se taise...

Ça ne pouvait pas mieux tomber... Finalement la journée n'allait peut-être pas être infructueuse comme le docteur l'aurait cru... Antoine était déjà dans sa poche, ça n'avait pas été difficile de convaincre ce garçon. Il était naïf, sûr de lui et apparemment il n'aimait pas l'institution, ce qui permettait à Sheitan d'être une sorte de divertissement particulier. Du moins il s'était servi de cette idée pour se rapprocher un peu de ce gamin, seulement il doutait qu'il lui serve à quelque chose un jour. Après tout il ne serait sûrement pas du genre à se laisser faire comme Étienne pour qu'il puisse obtenir des renseignements. Antoine n'avait pas d'attaches à Dellane, sinon il aurait répondu que c'était un endroit qui lui plaisait, or ce n'était pas le cas...
Le problème était que ce gamin ne conviendrait probablement pas à son père. Il avait un bon fond et pourrait parler à Dellane de Delilah... Et alors Sheitan aurait plus que des gros problèmes, à vrai dire il imaginait bien que la pire punition que Alexis Oroshi pourrait lui infliger serait la mort pure et simple, des ses propres mains. Seulement le jeune métamorphe ne comptait pas mourir de cette façon, si facilement. Il voulait encore profiter de la liberté dont il jouissait, de cette mission à accomplir, de ce jeu qu'il devait gagner pour ne pas connaître la souffrance de devoir une nouvelle fois se soumettre à son père.

Il devait absolument se renseigner sur ce nouvel arrivant, il devait savoir qui il était, comment il réagissait, connaître son pouvoir... En somme savoir si ce jeune assez inconscient pour venir jusqu'ici serait prêt à croire Sheitan et à joindre Delilah sans passer par la case Dellane... Oui ce serait tellement bien pour le jeune docteur s'il pouvait envoyer un nouveau cobaye à son père. Cela lui permettrait de pouvoir souffler un peu et d'avoir probablement plus de temps pour s'exercer un peu. C'était la guerre maintenant pour lui à l'institution, guerre qu'il avait envie de gagner. Et Sanzo Kichigai devait tomber de son trône. Il lui fallait connaître les points faibles de l'homme-loup et les utiliser contre lui jusqu'à ce qu'il abandonne, c'était pour lui la seule solution à présent, étant donné que le corps enseignant ne semblait pas encore lui faire assez confiance pour l'élire...
Et pourtant, peu à peu, le jeu du jeune docteur changeait, il devait s'avouer qu'il apprécierait de contrôler cette école et d'ailleurs ce ne serait probablement pas pour l'offrir à son père mais réellement pour s'en occuper, exploiter au maximum les pouvoirs des élèves et si possible faire régner la souffrance.

Il attendait beaucoup du garçon qu'il venait de rencontrer grâce à Antoine, alors que celui-ci n'était peut-être même pas un mutant... Cela serait fort déplaisant... Enfin il pourrait au moins s'amuser avec son corps...

Le docteur interrompit ses pensées pour s'adresser aux jeunes gens. En fait, il n'y avait réellement que Zack qui l'intéressait, même s'il faisait semblant d'être amical avec Antoine pour ne pas perdre subitement sa confiance. Il s'adressa néanmoins avec autorité aux deux garçons. Ils avaient enfreint le règlement, et si l'autre garçon ne pouvait pas être au courant, Antoine quant à lui se devrait de l'être. Ainsi la politesse de Sheitan cachait un ordre, les deux garçons avaient intérêt à bien se conduire à présent...
Zack semblait avoir saisi de quoi il en retournait et Antoine les quitta sans chercher à comprendre plus de choses. C'était un bon début.

Le docteur se retourna vers le garçon avec un sourire.

« Je suis Sheitan Belial. Pour t'éviter des ennuis je te propose de sortir du bâtiment pour le moment... J'aimerais que tu me montres ton pouvoir et que tu m'expliques depuis quand tu l'as. S'il s'avère semblable aux nôtres. Je pourrais te proposer de t'inscrire à Dellane... Ou dans un autre institut, qui te conviendrait peut-être mieux... »

Il n'avait pas peur de lui laisser le choix, en ne finissant pas réellement sa phrase, le jeune homme créait un suspens. Le garçon ne tarderait sûrement pas à mordre à l'hameçon et ce serait facile ensuite de le convaincre... Du moins c'était ce qu'espérait le docteur Belial.

Sans avoir répondu et laissant filer Antoine, le jeune professeur se retourna vers le potentiel futur élève. L'homme était assez souriant, quelque chose de beau se dégageait de son visage, comme s'il était amical et enjoué de nature, tout en restant professeur. C'était agréable pour le nouvel arrivant, d'ailleurs les propos adressés au nouveau étaient disproportionnés, plusieurs écoles maintenant, pouvoir, tout était si rapide. Les deux se dirigèrent vers la porte qu'il venait à peine de prendre pour arriver là, il redécouvrait l'entrée vue de l'intérieur, c'était impressionnant. Les arbres, la forêt qu'il venait visiter la journée, tout était semblable à son quotidien mais en plus magique, en plus féérique, en plus imposant, tout avait désormais un sens, Zack était un de ces gens et il voulait sortir son épingle du jeu, devenir le plus respecté d'entre eux, avoir une réelle place ici, avoir un réel pouvoir.

"Professeur, Antoine, le jeune garçon qui m'accompagnait m'a bien parlé d'un endroit unique, Dellane, l'institution qui regroupait des gens comme nous, venant du monde entier. Quelle est donc cette seconde école?"

Zack avait tellement de questions, il voulait demander à ce Sheitan de montrer lui aussi ses pouvoirs, car il n'avait été sûr de rien depuis le début. Il était toujours le seul capable de faire n'importe quoi d'extraordinaire depuis le début. Au bout de quelques secondes invisibles, il se baissa puis s'exécuta, empoignant quelques feuilles d'herbe de la pelouse entourant l'allée bien tenue et rigoureusement géométrique. Il tendit la main vers le professeur, cet inconnu et lui révéla son plus lourd secret sans poser de questions, comme si tout ceci était normal. Les quelques brins de jachère commençaient à changer de couleur, viraient à l'orangé, puis se recroquevillèrent comme sous l'effet d'une canicule, pour enfin devenir noirs et minces comme cendre. Il se frotta les mains pour faire s'envoler les restes de la végétation putréfiée entre ses doigts et regarda d'un œil songeur le professeur. Il voulait poser des questions et il se retenait, mais c'était fascinant, quelle journée.

"Devrais-je apporter une contribution pécuniaire pour entrer dans cette école?"

C'était là le seul souci, il n'avait pas d'argent et ne pouvait pas demander à madame Brasset de payer pour lui, non et il ne le ferait pas. Il portait déjà des vêtements lui appartenant, se lavait et vivait à ses frais, il ne pourrait pas lui demander cela en plus. Mais s'il avait vu l'institut il ne pourrait pas lui fermer la grille sachant qu'il pourrait, aux autorités, tout révéler. Alors les questions fusèrent, mais cet établissement était la chance de sa vie et il ne devait pas la laisser filer entre ses doigts comme cette herbe morte et pourrissante qu'il deviendrait s'il n'y arrivait pas. Zack avait peur, extrêmement peur de ne pas être à la hauteur, de rater une occasion en or de se démarquer, il pouvait grâce à ce fardeau obtenir ce qu'il voulait. Rendre tout le bien que la grand-mère lui avait offert et surtout recommencer une nouvelle vie normale, l'école, les amis, une nouvelle famille.

Sheitan serait certainement le premier membre de cette famille, ce personnage étonnamment beau, et charismatique serait l'exemple parfait pour le jeune blondinet. Zack lui obéirait à condition que cela lui apporte quelque chose, mais sa manière de parler et ses réponses bien organisées montraient à l'étranger qu'il était un trésor à lui tout seul. Il apporterait bien plus que quiconque, déjà de sa manière de s'exprimer, de jouer avec les mots, se prestance naturelle et son éloquence troublante. Il incarnait le bien, le changement, le renouveau, l'éclaircie après la pluie, le maitre pour le jeune orphelin de destin.

Zack était rayonnant, bien qu'il suait à grosses gouttes sous son haut blanc rayé de bleu mais la seule chose que l'on pouvait remarquer était le sourire d'une blancheur parfaite quand il observait Sheitan, son teint bronzé et son visage dépourvu de marques de sentiments néfastes. À la question que lui posa le grand brun, il ne répondit qu'un simple :

"Oui monsieur."

Il avait réellement envie de lui obéir, le maitre était convaincant, et l'élève convaincu, ou crédule...

Antoine n'avait plus aucun intérêt aux yeux de Sheitan, il pourrait faire ce qu'il voudrait mais il avait plutôt intérêt à disparaître le plus vite possible. Le jeune homme n'avait pas du tout envie de garder ce gamin prêt de lui comme un chien fou, il savait très bien que cela l'exaspérerait très rapidement.
Alors quand il s'aperçut que le fou de basketball s'était effacé sans faire de bruit, l'estime qu'il avait pour ce gosse augmenta sensiblement. Après tout il n'était pas si idiot que ça, il avait compris que pour éviter tout blâme il valait mieux qu'il s'en aille loin du professeur.
Enfin, le docteur reporta son attention, toute son attention sur le jeune garçon qui avait accompagné Antoine jusqu'ici. Ils sortirent, le garçon observait ce qui l'entourait, il avait l'air de se sentir bien ici. Sheitan devrait œuvrer pour le convaincre le plus rapidement possible. Seulement il ignorait totalement ce que Antoine avait pu lui raconter. Il commença donc à lui expliquer ce qui allait maintenant se passer. L'adolescent lui répondit immédiatement et exactement comme il le souhaitait.
Le professeur lui adressa un sourire, lui expliquant que c'était un endroit particulier, pas vraiment une école, plus axée sur les pouvoirs et leur compréhension.

La suite se déroula de la meilleure façon. Le garçon se montra très agréable. Sans rechigner il se présenta à lui et lui expliqua son pouvoir avec beaucoup de sérieux. Il se pencha alors pour saisir quelques brins d'herbe, commença alors une démonstration très impressionnante. Zack ne lui avait pas mentit. Il venait sous ses yeux de faire vieillir les brins d'herbe, jusqu'à ce qu'ils redeviennent poussière. Ce garçon avait un potentiel énorme, il ne pouvait pas le laisser partir pour Dellane, certainement pas. Alors que Sheitan réfléchissait à une manière de le convaincre de rejoindre Delilah, le garçon lui demanda s'il devait payer pour entrer dans l'école.
Le docteur devait répondre assez rapidement pour être crédible et dissiper toutes les craintes que pourrait avoir le jeune apprenti.

« Ne t'en fais pas, l'endroit dont je te parle n'est pas comme Dellane. Pour entrer ici il faut s'inscrire et comme il y a différentes activités, c'est payant. Je te parle d'un autre endroit car je n'ai pas appris à développer mon pouvoir ici. En fait l'endroit d'où je viens investit sur les adolescents comme toi. Ainsi ils t'aident à développer ton pouvoir, subviennent à tous tes besoins pour que tu sois préparé. Tu pourras ensuite revenir ici et si tu le souhaites, aider en retour l'institut. »

Le monologue s'interrompit quelques instants. Le jeune homme observait Zack, ses réactions, essayant de deviner ce qui pourrait le convaincre. Il utilisa son pouvoir, quelques instants, pour mettre le en confiance. Il chercha dans ses poches et sortit un trousseau de clef qu'il serra dans sa main. La rouvrant alors il montra au garçon la plante qu'il venait de créer et qui poussait au creux de sa paume, en lieu et place des clefs. La plante grandit et grandit encore, comme une sorte de haricot magique qu'un enfant appelé Jack aurait eu l'idée de planter dans la main du docteur. Celui-ci avait le sourire aux lèvres. Après avoir atteint la taille impressionnante de deux mètres environ en quelques secondes, le sommet de la plante s'ouvrit en une magnifique fleur, sorte de marguerite géante, aux pétales rouges flamboyants.
La plante se rétracta ensuite, comme si l'on rembobinait une cassette pour redevenir le trousseau de clefs que le jeune homme rangea dans sa poche.
Il sourit au garçon ébahi.

« Je ne pense pas que j'aurai atteint ce niveau de maîtrise en allant ici. Pour moi cette école aide les jeunes déboussolés qui ont des problèmes avec leur pouvoir. Mais toi qui semble en avoir une maitrise plus grande, il me semble que ta place n'est pas ici, mais à Delilah. C'est le nom de ce que pourrait être ta future maison. »

Il marqua une pause, avant de s'adresser à nouveau au jeune garçon, le regardant dans les yeux avec la plus grande attention.

« Zack. Aujourd'hui tu as le choix. Tu peux prendre ton destin en main. Accepterais-tu de me suivre et de rejoindre Delilah ? »

"Oui monsieur."

La réponse ne se fit pas attendre. Sheitan lui dit avec un nouveau sourire sincère, inventé de toute pièce. Il pouvait compter sur lui, c'était très bien, il allait gagner des points auprès de son père... Alors il décida de prendre Zack sous son aile, il l'amènerait à Delilah, il veillerait sur lui de loin et irait le voir. Ce serait comme son protégé... Une sorte de protégé plutôt...

Le garçon désirait repasser par Brioude avant de partir, il entra dans une maison assez coquette, Sheitan attendit quelques minutes à l'extérieur, saisissant son portable, il composa le numéro d'urgence. Il fut convenu qu'un enfant serait amené à Delilah, que Sheitan s'occupait de lui particulièrement.
Alors qu'il raccrochait, sourire aux lèvres, Zack vint le chercher. Le professeur expliqua à la vieille dame que Zack avait un potentiel particulier et qu'il serait pris en charge par une institution, elle aurait des nouvelles du garçon rapidement, il lui en faisait la promesse.
Ainsi, elle ne put refuser, Zack était libre comme l'air et elle n'avait pas le droit de se remettre en cause ses décisions.

L'adolescent prépara un maigre bagage, Sheitan commanda un taxi et ils partirent vers Delilah. S'arrêtant sur une aire d'autoroute, le jeune homme paya le taxi avant de rejoindre deux autres personnes, leur présentant rapidement Zack. Tous entrèrent dans une voiture aux apparences luxueuses et rejoignirent quelques minutes plus tard un fort bel endroit qui n'était autre qu'une des nombreuses cachettes de Alexis Oroshi, président d'une organisation très particulière. Delilah.

Cet homme capable de manipuler les objets et de les transformer à volonté était fascinant, un réel mentor comme Zack en voulait un. Dépourvu de père et désormais de famille il voulait s'en constituer une, mais pas une famille normale, non une famille avec ce petit plus. Et Sheitan semblait être l'addition parfaite au calculs mentaux du blondinet. Le jeune garçon fit chemin inverse une fois le pacte conclut, il était trop tard pour décliner l'offre alléchante. Le soleil était parfaitement levé et la brume matinale effacée par l'heure qui défilait sans cesse. Zack n'avais d'ailleurs plus la notion du temps. Il devait être presque neuf ou dix heures passées depuis minuit, enfin les deux n'en avaient certainement aucune idée, le temps était tellement insignifiant par rapport à la magie des évènements présents. Le chemin inverse était plus long, encore plus long que l'attente avant de découvrir si réellement l'institut existait. D'ailleurs le futur élève, aurait souhaité le visiter. Futur élève à Delilah. Quel nom étrange, d'ailleurs pourquoi le gamin n'en avait pas parlé, il ne devait être au courant, ce serait pour l'élite des « mutants » à ce qu'en disait Belial. Arrivés l'un et l'autre en centre ville après une heure bien tassée et quelques propos insipides partagés, Zack entra dans son foyer adoptif. Madame Brasset, elle était belle avec ses cheveux blancs, elle s'était inquiétée, quand le gosse avait ramené enfin le journal et le croissant, elle l'accueillit le sourire aux lèvres.

"Je... j'ai trouvé une école prête à m'accepter sans argent, je suis tombé sur un professeur gentil."

"Je savais qu'un jour tu me quitterai, je m'y étais préparée, du moment que tu es encadrée cela me va. Il est devant la maison cet instituteur?"

Les deux sortirent après le croissant et le quotidien déposés sur la table de la salle à manger. Elle lui posa quelques questions, il la rassura. C'était vraiment un homme mature, un adulte comme aurait voulu devenir Lacroix. Elle embrassa une dernière fois le jeune garçon une fois la valise prête. Elle donnait quelques affaires et elle camoufla dans une poche de jean un petit pécule qu'il avait préalablement refusé. Les deux hommes partaient maintenant en direction de la fameuse cachète secrète des mutants aux talents incommensurables. Une fois dans le taxi la tension était palpable, Sheitan avait des airs supérieurs et distant du jeune garçon tout en restant agréable que c'était déroutant pour le garçon qui avait désormais peur. Bien qu'il soit presque adulte il redoutait tant de choses, redoutait que tout ceci soit une mascarade, qu'il soit dans un rêve ou un cauchemar et qu'il ne se réveille jamais. À la merci de ce professeur il n'osa point lui poser toutes les questions qui fusaient dans sa tête recouverte de part et d'autre par une tignasse blonde désordonnée. Des heures plus tard et quelques micro siestes avaient suffit à Zack pour le désorienter totalement il ne savait pas où ni d'où il venait, ne savait même plus dans quel département il se trouvait, l'homme à côté de lui, charismatique restait de marbre.

Sorti du véhicule, le ventre du jeune garçon commençait à se manifester, la faim le faisait gargouiller. Deux hommes impressionnants attendait le duo à la sortie, aire d'autoroute totalement désertée, ce n'était pas là le point d'arrivée de leur trajet après avoir salué de la tête les deux inflexibles gorilles il entra dans une voitures aux vitres fumées comme un saumon qui aurait rassasié l'ancien gosse des rues. Ils arrivèrent après un petit quart d'heure de conduite souple et détendue dans un endroit magnifique. Magnifiquement bien caché, certainement bien plus que l'institution qu'il avait visité quelques heures auparavant. Chemins de traverse escarpés, routes dissimulées, service de gardiennage une fois le lieu découvert, c'était une prison mais pour l'extérieur. Que cachaient-ils là dedans? Des mutants prêts à détruire l'univers tout entier? Il préparaient une énième guerre? Zack n'avait même plus le temps de réfléchir, sa valise grise empoignée il suivait machinalement Sheitan, seule personne connue du jeunot et ne le quittait plus des yeux par crainte. Encore une frayeur pareille et l'adolescent devrait changer de pantalon, déjà que son haut léger s'auréolait des gouttelettes de sa peur.

"Professeur? Je suis paniqué, quel est cet endroit? C'est ça Delilah?"

Les yeux plissés par le soleil et le front marqué par l'inquiétude, le futur adulte aurait voulu se pendre au cou de la seule personne qui ne lui faisait pas peur ici, la seule chose d'ailleurs. Mais c'était déplacé et le jeune homme aux manières appliquées serait certainement offensé.

Tout se passait pour le mieux, Sheitan maîtrisait parfaitement la situation et il n'y avait à ce jour pas plus heureux homme. La route jusqu'à Delilah serait longue. Évidemment. Zack devait croire que la route était longue, mais il avait en fait donné au chauffeur un chemin incongru, noté sur post-it alors que le garçon faisait sa valise. Il devait tourner en rond d'une façon assez habile, sortant pour aller en ville puis revenir sur l'autoroute, faisant plusieurs tours inutiles. Le docteur observait discrètement Zack, le nez collé à la vitre, l'adolescent s'assoupit plusieurs fois. Cela arrangeait plutôt le jeune homme, tout devait être assez flou dans l'esprit du garçon pour qu'il arrive dans les meilleures conditions.

Jusqu'ici tout s'était formidablement bien déroulé, la vieille dame avait bu jusqu'à la dernière goutte les paroles du professeur qui n'avait eu qu'à tenir sensiblement le même discours qu'avec le garçon. Son apparence, son érudition et sa sincérité avaient fait le reste, personne ne se doutait de qui il était vraiment. Alors que Zack préparait son départ sous l'œil bienveillant de la grand-mère, le jeune métamorphe avait appelé un taxi à qui il avait donné discrètement le bout de papier, en même temps qu'un grand billet. Il rassura une nouvelle fois la propriétaire de la maison avant d'entrer dans le taxi avec le garçon. Ils n'échangèrent pas un mot. Sheitan n'y tenait pas vraiment, trop occupé à surveiller l'itinéraire et à préparer mentalement leur entrée à Delilah. Il fallait que le jeune homme se présente d'une belle façon, Zack ne devrait pas être considéré comme n'importe qui, sinon le docteur perdrait de sa crédibilité.

Le taxi arriva sur l'aire d'autoroute. Sheitan sortit la valise de la voiture et demanda au garçon de le suivre. Il n'accorda aucune attention aux deux autres hommes présents, hochant simplement la tête pour les saluer. Il déposa la valise dans le coffre de la nouvelle voiture et s'installa aux côtés du jeune mutant.
L'arrivée était proche, enfin. Ce n'était pas que son père lui manquait, ni que cet endroit était pour lui une source inépuisable de bons souvenirs, mais c'était l'endroit où il existait, où on le respectait. Ici et à Dellane... Sauf que ici on le connaissait, détail important, lorsque l'on vit dans le secret.
Après un trajet réellement pénible, Delilah ouvrit ses portes après une vérification d'identité. La voiture entra, puis s'arrêta, Sheitan sortit, suivit de près par Zack. La valise fut sortie et la voiture repartie.

Sans dire un mot, le jeune docteur s'avançait vers l'entrée de Delilah, sans faire plus attention à l'immensité des bâtiments et à la richesse de la végétation qui n'était pas sans rappeler un emplacement qu'ils avaient quitté quelques temps plus tôt. Sheitan était assez fébrile, il n'arrêtait pas de penser à son père et à ce qu'il lui avait dit la veille. Même s'il se rattrapait à vitesse V, Alexis Oroshi voulait avant tout que le jeune homme ramène son plus jeune fils. Seulement, ne l'ayant pas encore identifié, n'ayant pas voulu l'identifier, cette entreprise s'avérait difficile.
Alors qu'il songeait à ce qu'il pourrait dire à son père, Zack se mit à lui parler. Sheitan se tourna vers l'adolescent avec un sourire.

« Ne t'en fais pas. Je serai là pour veiller sur toi, comme une sorte de tuteur. Mais tu ne te trompes pas, c'est cela Delilah. Ne sois pas étonné par la grandeur, ou les bâtiments qui semblent peu commun, tu t'y habitueras et surtout, tu n'auras pas à tous les visiter. »

Le jeune homme posa sa main sur l'épaule du garçon pour le rassurer.

« Ici on essaye de comprendre d'où viennent les pouvoirs et comment les augmenter, les utiliser. Alors il y a des laboratoires et différents endroits que tu ne pourras pas visiter, moi-même qui suit un ancien élève n'y suis jamais allé. »

Une courte pause se fit avant qu'il reprenne, s'assurant que Zack se sente un peu plus rassuré.

« Pour le moment nous allons te trouver une chambre et nous irons déjeuner pour discuter de tout cela. Tu peux me poser toutes les questions que tu veux, je me doute qu'il ne doit pas être facile de débarquer ainsi dans un nouvel environnement... »

Sheitan parlait avec une voix calme, chaleureuse, il souriait au garçon pour le mettre en confiance. Il lui prit sa valise des mains, comme pour lui enlever un poids. En fait il n'avait sûrement jamais été aussi sympathique sans, d'un autre côté, ressentir un dégoût incommensurable. Pour le moment tout se passer simplement bien.
Souriant au garçon, il essaya de le dérider en lui disant que c'était une chance et non pas un problème d'être ici.


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