Jour pluvieux [Libre]

Elisabeth n'avait pas l'habitude de passer autant de temps avec quelqu'un, qui plus est, un inconnu. Elle passait peu de temps avec les autres. Pourquoi ? Les gens ne semblaient pas l'apprécier, et elle n'appréciait pas les gens. Mais rester seul n'était pas dramatique. La solitude avait du bon. Le calme, la tranquillité... Ce genre de choses, quoi. Le genre de choses qu'Elisabeth affectionnait énormément, du fait de son pouvoir. Bien sûr, son don avait quand même de bons côtés. Par exemple, pour découvrir un gros secret - elle ne put s'empêcher de penser à Étienne et au directeur - ou pour chercher des informations. Pour d'autres choses, moins joyeuses... Pour faire souffrir. Pour tuer. Cet aspect-là la dégoûtait. Quand elle y pensait, elle avait véritablement l'impression d'être un monstre. Elle se faisait peur. Elle se sentait sale, méprisable. Elle voulait disparaître. Quand elle pensait à ce qu'elle avait fait avec ce fichu pouvoir, elle avait elle-même envie de mourir. Elle ne se sentait pas digne de vivre. Le fait qu'Etienne accepte de rester avec elle, de lui faire visiter les lieux lui réchauffait le cœur. Cela faisait longtemps que l'on n'avait pas été aussi gentil avec elle. Même si il faisait ça juste pour être sûr qu'elle garde le secret, cela lui faisait plaisir. Même si elle avait l'impression de profiter de lui, même si ce geste était égoïste... Elle se sentait moins "monstrueuse". Ce point commun qu'elle avait avec le garçon, ce meurtre qu'ils avaient tous les deux commis, la rapprochait un peu de lui. Elle ne lui avait pas dit qu'elle avait elle aussi tué accidentellement, mais elle n'étais pas sûre de lui révéler cela. C'est sûr, elle aurait pu tout lui raconter, afin que l'échange soit équivalent, car lui s'était confié, mais elle avait peur. Peur de le dégoûter encore plus. Peur de perdre la seule personne aussi proche d'elle maintenant. Sa famille n'était plus là. Andrew n'était plus là. Maintenant, elle avait juste ce garçon qu'elle connaissait depuis quelques heures à peine et avec qui elle avait partagé un seul pauvre repas. En ce moment-même, elle se sentit terriblement seule. Elle n'avait personne. Lui, si. Il avait Sanzo. Il avait cette Cécile dont Elisabeth avait eu vent par un petit scanner des pensées du garçon. Elle, elle n'avait rien. Rien hormis ce pouvoir inutile et destructeur.


Une boule se forma dans sa gorge, et la jeune fille rechaussa ses lunettes pour cacher ses yeux humides. Elle voulait pleurer, évacuer toute cette peine, toute cette rage, tout effacer avec ses larmes salées. Mais pas devant le garçon. Se rendant compte de ces envies étranges, elle secoua la tête, se trouvant incroyablement stupide. Elle n'était pas une gamine et pleurer était inutile. Pleurer ne ramenait pas les êtres morts. Pleurer ne rendait pas plus fort. Pleurer était une preuve de faiblesse. A cette pensées, toute perspective de larmes disparut de son être, et une lueur déterminée apparut dans ses yeux. Lueur que personne ne put admirer, cachée derrière ses verres fumés. Elisabeth voulait changer, devenir plus forte, et réussir à maîtriser son pouvoir. Même si pour l'instant, cela lui paraissait impossible. Elle décida de penser à autre chose, écoutant attentivement les indication du garçon, souriant par pure politesse à sa blague. Aussi froide que la glace et aussi noire que l'ébène. Voilà comment était son âme était. Même si elle avait tenté de se montrer sympathique, la jeune fille ne parvenait pas à se défaire de cette attitude froide. C'était pour elle une sorte de rempart, une protection contre les gens qui l'entouraient. Un moyen d'attirer le rejet plutôt que la moquerie. Elisabeth avait changé du jour au lendemain après la mort de la seule personne au monde qu'elle aimait sincèrement, se murant dans le silence, la froideur et la noirceur. Elle était devenue une toute autre personne, elle-même ne savait plus vraiment qui était. Elle ne voyait dans le reflet du miroir qu'un monstre. Une meurtrière. Ne regrettant même pas son geste. C'était détestable. Mais c'était elle, à présent.


« Le dernier conseil que je peux te donner, c'est de ne pas faire attention aux regards des autres. Ca continuera comme ça avant qu'ils ne trouvent une autre personne à observer. Ah, et si tu veux te faire des amis, le mieux c'est faire comme si on ne se connaissait pas. Je peux rester le garçon qui t'a fait visiter. Je pense que ce sera mieux pour toi et ta réputation. »


En y pensant, Elisabeth ne voulait pas se faire des amis. Elle était si bien, toute seule. Au moins, elle ne souffrait pas, physiquement entendait-elle. Au moins seules ses pensées résonnaient dans sa tête, lorsqu'elle n'était avec personne. Son regard se posa doucement sur le garçon, elle le dévisagea derrière ses lunettes noires. Elle se fichait bien de sa réputation, elle se fichait bien du regard des autres. Elle commençait à apprécier le garçon. Et on protégeait les personne que l'on aimait, comme Sanzo tentait de protéger le garçon. Puisque c'était ainsi, Elisabeth allait se forger une bien pire réputation. Si elle le voulait, elle pourrait devenir la pire des garces. En dévoilant les secrets, en découvrant des pensées cachées... Mais elle n'allait pas faire cela. Elle allait plutôt rester avec le garçon, enfin, si il le voulait bien, et répondre aux rumeurs des autres par d'autres rumeurs. Répondre aux auteurs de ces provocations.


"Tu veux que je m'occupe de ces gens ? Ceux qui diffusent ce genre de rumeurs... Je pourrais le faire facilement, je suis sûre de connaître des choses sur eux que tu ignores... Et puis, je me fiche bien de ta réputation. Ici, n'importe où, je me fiche totalement du regard des autres. Je vois bien mieux en eux que ce qu'ils voient de moi."


[Rah, c'est complètement nul -____-" Désolée du temps de réponse, il se trouve que je m'y suis prise au dernier moment pour mes devoirs. ]

Étienne ne savait pas si au final c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle d'avoir rencontré cette jeune fille. Il s'était cru en danger, il avait eu peur de devoir partir, de devoir laisser Sanzo. Il avait trop réfléchi à ce qu'il ferait si son secret serait découvert pour dire qu'il n'avait pas peur. Mais le reconnaître serait se montrer faible et le garçon avait décidé de ne plus se montrer faible mais de toujours savoir, où il allait, ce qu'il faisait... Il n'était plus un enfant, il allait bientôt atteindre la majorité alors il devait se montrer responsable.
Bon, ce n'était peut-être pas aujourd'hui, vu qu'il était en train de rater un cours... Mais après, même maintenant, en essayant de faire confiance à Élisabeth, en lui faisant visiter l'établissement, en essayant de contenir son pouvoir. Est-ce que cela suffisait ? Est-ce que cela faisait de lui quelqu'un de plus gentil ? De plus agréable ? Il l'ignorait.

Depuis sa tendre enfance, Étienne avait un enseignement religieux strict, mais au final, il n'avait jamais été vraiment capable de faire la différence entre ce qui était bien, et ce qui était mal. Parfois, certaines choses qu'il aimait faire étaient jugées comme mauvaises par son père, et d'autres qu'il n'aimait pas, il devait les faire. Il n'avait pourtant pas un esprit très rebelle, au contraire. Le jeune mutant avait toujours essayé de plaire, de faire ce qu'on lui demandait. C'est pour cela qu'il avait suivi son père dans ses délires religieux : parce qu'il voulait être aimé, être félicité. Étienne voulait être le bon garçon, pas celui du milieu, il voulait être spécial, il avait été servi, seulement pas en bien.

Si Étienne avait un regret dans cette histoire, en plus de celui d'avoir tué son père, c'était de ne pas avoir parlé plus à Guillaume, son frère aîné. Il avait toujours été là pour l'écouter, pour quoique ce soit d'ailleurs, le jeune homme avait toujours essayé de le défendre, devant ses parents, ou même devant leur plus jeune frère.
Le mutant n'avait jamais compris pourquoi son grand frère lui apportait tant d'affection, pourquoi il était le seul à le faire. Cela lui faisait mal de se rendre compte qu'il avait dû lui gâcher la vie, et qu'il ne pourrait jamais s'excuser, qu'il ne pourrait jamais lui expliquer ce qui était arrivé ce jour-là. Il ne le reverrait plus jamais. Mais ce qu'il redoutait le plus, c'était que son frère lui en veuille, qu'il le déteste plus que tout à présent... S'il avait un vœu à exaucer pour quelqu'un qui appartenait au passé, ce serait que Guillaume vive bien, malgré tout... Bien que son père ait été assassiné, bien que un de ses frères soit suspect...
Et le garçon avait besoin de savoir, étaient-ils toujours à Brioude ? Est-ce qu'un avis de recherche était toujours publié pour lui ? Qu'avait-on découvert après l'enquête ? De toute façon, il n'y avait que les empreintes d'Étienne sur ce tournevis, mais un adolescent, qui plus est de son gabarit n'aurait jamais pu faire ce genre de blessures à un adulte, il aurait dû se débattre...
En plus le garçon avait disparu au même moment, alors évidemment qu'il était suspecté, comment voir les choses autrement ?
Qui aurait pu croire, en le regardant, qu'il avait tué ? Les séances de psychanalyse qu'avait proposé Sheitan étaient justifiées, si seulement il avait vraiment voulu l'aider...

La jeune fille venait de remettre ses lunettes noires, avait-elle une sensibilité à la lumière ? Elle les mettait souvent...
Il lui donna des ultimes conseils, qui le concernait. Il savait que sa côte n'était pas grande dans l'établissement... Pourtant il faisait tout pour ne pas se faire remarquer, mais cela ne l'aidait pas...
Le garçon pensait qu'il serait dans tous les cas mieux pour Élisabeth qu'elle ne fasse pas attention à lui, si on les mettait dans le même panier elle risquait de devoir supporter les mêmes paroles, les mêmes jugements que lui. Cependant, ce que la jeune fille lui répondit eut pour effet de le surprendre au plus haut point. Elle voulait l'aider ?

« Je... Non. »

Il la regarda avec un sourire avant de poursuivre :

« Ça ne m'intéresse pas de rentrer dans leur jeu, ça ne m'intéresse pas de savoir ce qu'ils ont pu faire de mal... Au final si c'est une épreuve, je dois la supporter.
Mais... Merci. Je suis content que tu te fiches de tout cela...  »

Cela semblait irréel tellement Étienne pouvait se trouver chanceux... Élisabeth lui avait demandé si il voulait qu'elle l'aide contre eux... Elle était gentille et elle semblait penser comme lui. À ce moment-là, il était content de la connaître, qu'elle soit dans sa chambre, dans sa classe aussi. Mais soudain, comme une piqûre de rappel, le garçon se souvint qu'elle pouvait lire en lui, qu'elle savait tout de lui... Ses joues s'empourprèrent et il détourna le regard.

« As-tu déjà révélé tes secrets à quelqu'un ? »

Plus pour retrouver de la contenance, le garçon avait posé cette question sans vraiment réfléchir, pensant simplement à toutes ces personnes en qui elle pouvait lire alors qu'eux ne savaient rien d'elle...

Elisabeth avait toujours vécu en connaissant les pensées des autres. Leurs secrets. Leurs désirs. Tout. Elle les connaissait sans les connaître, ils étaient si proches tout en étant si loin. Cette façon de vivre était étrange. Particulièrement quand les gens se comportait avec tant d'hypocrisie. Ses parents, par exemples. Ils étaient de piètres menteurs. Et pourtant, il tentaient de lui mentir. Sûrement était-ce pour ne pas lui faire de peine. Ou alors pour leur propre conscience. Quelle qu'en soit la raison, cela la faisait souffrir. Mais ses parents n'en avaient rien à faire. Ce n'était pas eux qui avaient eu à vivre dans un brouhaha permanent. Ce n'était pas eux qui devaient subir les émotions des autres. Ils avaient eu la chance d'être ''normaux''. Enfin, c'était un bien grand mot. Elisabeth avait du vivre ainsi, mais elle ne s'en était jamais plainte. Elle souffrait, mais silencieusement. Les autres se fichaient de sa peine, et vice-versa. Elisabeth elle-même était quelqu'un de bien hypocrite. Elisabeth était quelqu'un qui gardait ses peines et ses pensées pour elle. Finalement, qui était-elle pour oser scanner la tête des autres et de tout découvrir ? Ce pouvoir était malsain, c'était certain. La jeune fille aurait facilement pu s'en servir pour faire toute sortes de choses immorales, mais non. Elle gardait tout pour elle. Même les pensées des autres. Égoïste qu'elle était.


Étienne refusa son aide. Elle hocha la tête, compréhensive. Elle ne ferait sûrement qu'empirer la chose. Son pouvoir ne pouvait finalement aider personne. Elle était bien inutile, tout compte fait. Pourquoi diable le destin l'avait-il affublée d'un tel don ? N'importe qui en serait devenu fou. Qu'est-ce qui prouvait qu'Elisabeth n'était pas déjà folle ? Elle soupira, silencieusement. De toute façon, les gens qui ne connaissaient pas son pouvoir la trouvaient bizarre, et ceux qui le connaissaient étaient irrémédiablement mal à l'aise. Finalement, personne ne pouvait vraiment se comporter naturellement avec elle. Personne ne la connaissait vraiment, et elle n'avait pas vraiment d'amis. Comme la vie était compliquée, avec ce pouvoir. Il avait beau être parfois inutile, il ne lui avait surtout apporté que des ennuis jusqu'ici. Ce pouvoir l'avait privé de l'amour de ses parents, transformée en meurtrière et fait d'elle ce qu'elle détestait.


« As-tu déjà révélé tes secrets à quelqu'un ? »


Elisabeth plongea son regard dans celui du garçon. Esquissant un sourire, elle secoua la tête.


« Non, moi je suis une personne extrêmement égoïste. Mes secrets, je les garde pour moi. »


C'était vrai. Elle connaissait bien des choses de gens qu'elle ne connaissait pas, mais personne ne connaissait ses secrets. Car elle avait des choses à cacher. Oui, des secrets rien qu'à elle. Aussi confidentiels que la relation secrète qu'entretenaient Étienne et Sanzo. Peut-être était-il bon de se confier de temps en temps, mais Elisabeth ne parlait à personne. D'ailleurs, il n'y avait personne pour l'écouter, et puis, elle n'était pas du genre à se plaindre de sa vie. Peut-être devait-elle révéler quelques uns de ses secrets, comme une sorte de contrepartie ? Mais non, elle ne le ferait pas. Pas pour rester quelqu'un de mystérieux, non, loin de là. Elle était juste mal à l'aise lorsqu'elle devait parler d'elle. C'était pour cette raison que peu de personne la connaissaient. Qui la connaissait, d'ailleurs ? Ses parents ? C'était tout. La seule autre personne au monde qui la comprenait était décédée. Elisabeth se mit à penser à Andrew. La seule personne à qui elle s'était jamais confiée.


« Les secrets sont faits pour rester secrets. »


Dit-elle, même si cette phrase lui paraissait débile, bien que cela était logique. Un secret ne s'appelait pas ainsi pour rien. On ne révélait pas un secret. Il restait secret pour toujours. Pour toujours. Elisabeth comptait bien emporter ses secrets dans sa tombe. En attendant, elle restait silencieuse.