Interlude et confessions [Etienne]

C'était une journée typique du mois de juin. Typique pour Brioule et le centre de la France tout du moins. Bien que le Soleil brilla ardemment depuis son lever, la température extérieure ne dépassait pas une vingtaine de degrés. Une légère brise d'Ouest faisait chanter les arbres de la forêt et soulevait délicatement les mini-jupes que la chaleur toute relative avait fait pousser de part et d'autres du campus.

Comme chaque matin, Kiryu avait eu du mal à sortir du lit. Il dormait la fenêtre ouverte, les bruits de l'extérieur le tirant de l'étouffante atmosphère de solitude qui emplissait la chambre depuis la disparition de Chizu. La chambre était tellement froide par rapport à la confortable chaleur de la couette ... pas étonnant qu'il ne soit pas pressé d'entendre le réveil sonner.
Il finit par sauter du lit en grommelant, entrant dans la routine qui l'avait maintenu en vie depuis près de 4 mois, depuis qu'il avait appris la mort de sa bien-aimée. Douche, brossage de dents, habillage. Il se dirigea d'un pas vif vers le bureau du comité pour récupérer quelques papiers qu'il alla déposer dans la boîte aux lettres du bureau du directeur. Celui-ci était introuvable depuis quelques temps et l'administration de l'Institut s'en ressentait. Bien sûr Kiryu aurait pu faire justice lui-même mais alors qui s'occuperait de vérifier qu'il ne dévie pas du droit chemin ?
Il se dirigea ensuite vers sa salle de cours qui était complètement déserte. Depuis sa confrontation avec Étienne, plus personne n'avait poussé la porte de la salle de Sciences. Pourtant il venait chaque matin, fidèle au poste, et passait une heure et demie à attendre d'hypothétiques élèves.

Il avait ensuite consacré le reste de sa journée à ses cours, ses patrouilles et ses rapports pour le comité, et enfin par une heure de sport au gymnase. Après une douche fraiche, il comptait aller se reposer un moment dans sa chambre avant d'aller au réfectoire juste avant la fermeture. Il comptait ainsi éviter la plus grosse partie des élèves. Devoir manger et les surveiller en même temps était une plaie, et il s'était donc habitué à manger seul, quand les autres avaient terminé.
Alors qu'il passait dans le couloir de l'infirmerie, une forme humaine avachie sur un banc attira son attention. S'approchant à pas de loup pour ne pas le déranger, il entendit la respiration régulière caractéristique d'une personne endormie.
C'était Étienne. Kiryu se rappelait clairement le jour où ils avaient fait connaissance, ainsi que chacune des paroles qu'il lui avait dites pour l'éloigner de lui et le protéger de son affection destructrice. Il sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Comme il avait regretté ces paroles ... il aurait probablement juste du lui expliquer ... mais connaissant le jeune homme, jamais il n'aurait consenti à l'abandonner !

Son camarade, ressentant peut-être sa présence, commença à s'agiter dans son sommeil et à murmurer des choses incohérentes, auxquelles Kiryu ne prêta pas attention. Étienne tremblait. C'est vrai qu'il ne faisait pas chaud, et ça ne devait pas être très confortable non plus.
Délicatement, Kiryu chargea le jeune homme sur son dos et se dirigea vers les dortoirs. Il installerait Étienne dans sa chambre et si ce dernier acceptait encore de lui adresser la parole, ce qu'il n'avait pas fait depuis leur dispute, il lui expliquerait tout ... Ou presque !

On ne pouvait pas faire pire situation, ou alors il aurait fallu la raconter à Étienne pour essayer de le réconforter, et encore... Ce n'était pas vraiment sûr que cela fonctionne. Le garçon était fatigué, épuisé par cette journée et surtout ces longues minutes de souffrance que Sheitan lui avaient fait endurer, autant physiques que mentales. Il s'en remettrait, évidemment. Et si ses rêves le prévenaient de nouvelles sévices en lui faisant vivre les passées, l'adolescent serait capable d'avancer et de voir plus loin. Il n'avait pas le choix, il ne pouvait pas s'enfermer dans sa carapace car Sanzo le remarquerait, non, il devait simplement garder ces images pour lui, les garder dans son esprit, les garder bien en vue et ne pas les perdre, s'attendre à ce que serait la suite des événements, à ce que cela recommence encore et encore jusqu'à ce que l'homme horrible et magnifique soit satisfait...
Seulement, comment le garçon pourrait faire cela ? S'il obéissait au docteur, il trahirait l'homme qu'il aimait... Il devrait lui poser des questions et faire semblant, obtenir des informations que lui seul pourrait lui soutirer... Non... Il ne pourrait pas vivre ainsi, s'il devait mentir à quelqu'un ce serait à son bourreau et non à son protecteur.
L'adolescent était totalement désarmé, il avait mal, froid, mais était avant tout fatigué. Il n'avait eu aucune réaction lorsque Sheitan était passé près de lui, Étienne dormait déjà profondément et ses songes l'empêchaient de vivre la réalité.

Il faisait froid, la neige était présente et entourait le garçon, c'était son premier hiver en France, son premier anniversaire et il était allongé dans le jardin à regarder le ciel étoilé. Il se sentait bien là, dans ses habits chauds, avec ses joues rosies par le froid et la différence de température entre l'intérieur et l'extérieur de son corps. Il avait le sourire aux lèvres, tout était si calme... Mais son père sortit de la maison et brisa le silence, un tournevis planté dans la tête il demanda au garçon de rentrer, ce qu'il n'eut pas le choix de faire. Dans sa chambre un loup l'attendait, il lui sauta dessus et lui lécha le visage, puis Sheitan apparut et planta un couteau dans le ventre du garçon, un mélange de toutes les personnes qu'il avait pu connaître, famille, amis, même Sanzo se mirent à crier que le mal devait fuir. Alors Étienne s'en alla, il entendait des voix, des pourquoi des comment...

"Ce n'est pas moi... Je ne voulais pas, pardon !"

Le garçon se mettait à prier et son père l'insultait, trouvant inutile pour lui de s'adresser au Seigneur, c'était trop tard...
Le rêve se coupa un bref instant, quelque chose se passait, Étienne ne put ouvrir les yeux mais sentit son corps bouger, il se cramponna fermement à Kiryu par réflexe et aussi par peur.

"Je ne peux pas le faire... Pas moi... "

Le jeune mutant était mort de trouille, Sheitan lui demandait des choses de plus en plus terrifiantes, il devait blesser Sanzo pour ne pas qu'il se fasse tuer, mais il finit par mourir et dans un dernier instant où le garçon vivait son rêve , il se mit à crier...

"NON !"

Il se redressa d'un coup, Kiryu venait juste de le déposer dans son lit. Étienne se cramponna à son ventre qui était devenu très douloureux, il essaya d'apaiser son souffle, il transpirait... Il passa une main sous la chemise trop grande pour lui pour s'apercevoir que tout n'était pas faux... Le garçon qui ne se rappelait pas être mont" jusqu'à son dortoir regarda autour de lui, combien de temps s'était passé après sa sortie de l'infirmerie ? Est-ce que Antoine était là ? Non, une autre personne se tenait à ses côtés. L'adolescent leva la tête et vit alors...
Kiryu. Lui ? Celui qui l'avait traité comme un moins que rien ? Le garçon du remettre ses pensées en place, ce n'était pas le moment de craquer. Alors il observa le jeune homme et parla en essayant d'avoir une voix neutre, oui, seulement qu'il n'était pas en état pour cela, ses lèvres tremblaient et il dût les dissimuler par un regard sévère, le même qu'il avait accordé à Sheitan pour ne pas se laisser impressionner.

"Que faites- vous ici ? C'est vous qui m'y avait emmené ?"

Le télékinésiste n'avait plus aucune confiance en cet homme et comptait bien lui montrer qu'il pouvait vivre sans lui... Comment dire des choses aussi affreuses et venir le voir après ?...
Cela n'avait aucun sens. Et pourtant, s'il l'avait ramené ici c'est qu'il l'avait aidé ? Encore une histoire à n'y rien comprendre...

Kiryu parcourait les couloirs vides d'un pas rapide et assuré. Étienne ne pesait pas bien lourd... Les reflets azurs et orangés des premiers rayons du soleil couchant sur les vitres, qui l'auraient captivé en temps normal, le distrayaient à peine. Le jeune homme s'agitait sur son dos, s'accrochant à sa chemise avec une force insoupçonnable vu son gabarit, et ses paroles devenaient plus cohérentes. Il devait s'enfoncer dans son cauchemar... Comme c'était étrange pour lui ... ne pas être celui qui s'éveille en sueur de ses paniques nocturnes.
Tournant doucement la clé dans la porte, il repensa au réconfort et à la reconnaissance qu'il avait toujours éprouvé à trouver quelqu'un à son chevet alors qu'il émergeait péniblement de ses songes malfaisants.

Riff ...
J'aurais plus que jamais besoin de toi, de tes précieux conseils, de ta chaleur, de tes bras pour me blottir alors que tu me murmures que tout ira bien. Comme il était facile alors d'y croire !
J'espère me tromper ... j'espère que tu es quelque part et que tu as un peu de temps à consacrer pour veiller sur moi. Comme tu l'as promis ...

Il déposa Étienne sur son lit et reposa la couette sur le jeune mutant. Il aurait pu lui donner le lit de Chizu mais c'était pour lui un sanctuaire, l'une des seules preuves qui rattachaient encore l'existence de la jeune femme au présent.

" NON ! Que faites- vous ici ? C'est vous qui m'y avait emmené ? "

Dans un cri apocalyptique, Étienne s'éveilla, en se tenant le ventre. Kiryu regretta que son pouvoir ne soit pas un brin plus subtil, comme de pouvoir lire les pensées, pour pouvoir savoir, avec une curiosité morbide, ce qui avait tant effrayé son ex-presque-ami. A sa posture, Kiryu penchait pour Alien ... On aurait dit que le jeune mutant essayait de retenir ses entrailles à l'intérieur de son corps ! Et vu comme Étienne le dévisageait, Kiryu n'avait aucun doute quand à l'opinion du jeune homme ... à ses yeux il était de loin plus laid et haïssable que n'importe quel monstre de fiction !
Il affronta cependant le regard noir du télékinésiste.

" Hé bien vois-tu, tu es ici chez moi, dans la chambre 1. Et étant donné que malgré tes talents de somnambule, tu ne possèdes pas la clé de cette chambre, il apparait logique de penser que je suis effectivement celui qui t'a conduit, ou transporté comme tu préfères, céans. "

Il marqua une courte pause et se racla la gorge. Comment aborder le sujet ... Évidemment qu'Étienne le détestait après ce qu'il lui avait fait ! Il fit le pari d'attaquer tête baissée, et que la gentillesse naturelle du garçon ferait le reste. De toute façon, une autre approche n'aurait été que dissimulation ou manipulation, et Kiryu espérait clarifier sa relation avec le jeune mutant, pas l'embrouiller d'avantage. Il avait appris à ses dépens que tout mensonge ressurgit toujours au moment le plus inopportun.

" Je comprendrais très bien que tu n'aies aucune envie de m'adresser à nouveau la parole, après ce qui s'est passé la dernière fois.
Je te demande juste de m'écouter. "

Il prit une grande inspiration et se lança.

" Tout d'abord, je voudrais te présenter des excuses pour ce qui s'est passé. Je n'ai pas pris plaisir à faire ni à dire ce que j'ai dit et fait. Je l'ai regretté à la minute même où je t'ai blessé.
Évidemment tu ne peux que me croire sur parole, et je parie que cet incident ne t'engage pas à me faire confiance.
J'ai, pour de nombreuses raisons personnelles, la conviction que ceux auxquels je m'attache subissent tous un sort tragique. Et c'est exactement ce que je m'apprêtais à faire à ce moment-là, me rapprocher de toi, et par là même te condamner. J'ai paniqué ... je ne voulais pas te faire de mal mais je ne savais pas comment t'éloigner de moi sans te blesser !
Je suis stupide ... si je t'avais simplement raconté mon histoire, tu te serais sauvé. Mais je ne voulais pas que tu me voies comme un monstre, que tu me regardes avec haine et mépris, comme tu l'as fait toute à l'heure...
C'est pour ça que j'ai choisi de te faire peur ... je suis vraiment désolé.
Je voulais juste mettre les choses au clair entre nous. Tu peux rester tant que tu veux. Je vais te laisser ... "

La conscience plus tranquille de s'être enfin expliqué, Kiryu se dirigea doucement vers la porte, en priant pour que le jeune mutant le retienne.

Le garçon se réveilla la peur au ventre, qu'allait-il arriver ? Après avoir vu le jeune homme à côté de lui, il se rendit compte qu'il n'était pas dans sa chambre... Il se méfia immédiatement, il était conscient qu'il était sûrement très dur à ce moment là, mais comment réagir autrement ? La douleur de son ventre était atroce, Étienne gardait sa main sur ses pansements... Il essaya d'écouter les phrases du jeune homme, mais celui-ci lui semblait toujours aussi ignoble, pourquoi lui parlait-il ainsi ? Le télékinésiste avait mal à la tête, il avait envie que tout s'arrête, il souhaitait juste pouvoir dormir un peu et sortir de ce rêve terrible. Seulement la vie le rattrapait et alors que ses yeux se fermaient lentement, Kiryu se mit à lui parler de nouveau... Le mutant eut alors les oreilles comme bouchées hermétiquement aux paroles du professeur, cela dura seulement quelques secondes, puis il rouvrit les yeux et entendit à nouveau ce que lui disait le jeune homme.

Étienne l'observa sans dire un mot, le chef du comité baissait la tête devant lui... Pourquoi ? Il semblait pourtant tellement plus facile d'être lâche et de lui faire du mal... Le garçon finit par comprendre... Lentement... Pourquoi il lui avait menacé ? Pourquoi le jeune monstre y avait cru ? Il baissa la tête en réfléchissant...

« It can't be... »

Le garçon leva doucement la tête, Kiryu était parti. Non... Maintenant comment est-ce que cela allait se passer ? Alors il essaya de se lever, c'était bien trop dur mais il devait le faire. Le mutant finit par réussir et se précipita vers la porte, du moins autant qu'il le pouvait.

« WAIT ! »

Le jeune sortit enfin de la chambre et vit Kiryu dans le couloir, ses jambes flageolantes le firent tomber le long de la porte, il commença à pleurer, finalement ce jeune homme l'avait utilisé lui aussi... Pourquoi tout le monde faisait ça... Il ne voulait pas se laisser faire, il ne voulait pas qu'on lui fasse du mal ou qu'on en fasse à Sanzo...

Il se releva, ou on le releva... Non c'était bien lui, un pouvoir d'une force extraordinaire venait d'agir, le garçon fut levé par sa télékinésie, repoussant son propre corps par rapport au sol. Il se tenait maintenant droit dans ce couloir, créant un souffle qui allait vers lui, comme s'il était l'œil d'un minuscule cyclone. Étienne se sentit alors mieux que jamais. Le garçon avança d'un pas des plus légers, comme s'il avançait en lévitant. Le télékinésiste avait un doux sourire aux lèvres, il s'approcha de sa chambre puis, croisant le regard de Kiryu, lui parla d'une voix calme.

« Alors... Tout est arrangé. »

Le jeune mutant ouvrit la porte de sa chambre sans utiliser ses mains, la clé sortit de sa poche pour se glisser dans la serrure, il fit un clin d'œil au jeune homme avant d'entrer dans la chambre, et de s'affaler lamentablement sur le sol, tout se stoppa net, son pouvoir ne le soutenait plus. Il s'était vidé de son énergie

Il mit un peu de temps à revenir à la réalité, il avait été beau, grand, pendant quelques magnifiques secondes... Si seulement Sanzo avait pu le voir il aurait sûrement était surpris... Peut-être même qu'il aurait été encore plus amoureux de lui ? Et puis les autres auraient été impressionnés... Enfin... Le garçon se releva... Kiryu, il devait lui parler... C'est alors que, à genoux au sol, il s'aperçut que sa chemise était tachetée de sang, celui qui venait de passer au travers de ses pansements.

« WAIT ! »

La supplique se perdit dans le claquement de la porte qui résonnait dans les anciens couloirs au parquet lambrissé. Les talons claquant sur le vieux chêne faisaient un boucan d'Enfer si on ne faisait pas attention, mais qui Kiryu aurait-il pu déranger à une heure pareille ? Peut-être un élève studieux, qualité rare parmi les jeunes mutants qui profitaient plus de cet endroit pour s'égayer en toute liberté plutôt que pour travailler. En même temps, l'Institution était là pour ça ... les emplois du temps étaient plutôt lâches et les professeurs avaient pour consigne de ne pas surcharger les élèves de travail. Mais forcément si on les écoutait, c'était toujours trop.

C'est donc plus la bourrasque de vent soudaine que les sanglots étouffés, et largement masqués par l'écho, du jeune mutant qui attira l'attention de Kiryu. Le corps d'Étienne se souleva du sol et se déplaça vers la chambre deux, mi-marchant, mi en apesanteur. Cela lui coupa la chique. Certes il avait vu de nombreux pouvoirs, et il avait plus ou moins vu Étienne en action une fois, détourner des chaises lancées à pleine vitesse n'était pas un jeu d'enfant, mais cette fois c'était à un tout autre niveau. L'air semblait converger vers le jeune mutant, qui se retrouvait au milieu d'une mini-tornade. Cela faisait claquer les pans de la veste de Kiryu, mais c'était à peu près tout le mal que cela pouvait lui faire ...
Avait-il perdu le contrôle ? Pour le moment, même si c'était impressionnant ça n'avait rien de dangereux. Mais si ça empirait, Kiryu pourrait-il arrêter Étienne sans lui faire de mal ? N'allait-il pas regretter cette hésitation, ce retard ?
Un frisson qui n'était en rien du aux courants d'air lui descendit le long du dos. Un frisson qu'il ressentait à chaque fois qu'il se retrouvait face à un adversaire à sa taille. Un mélange d'excitation et de peur instinctive qui faisaient pulser l'adrénaline dans ses veines.
Mais il ne pouvait se risquer à attaquer Étienne sur des suppositions, alors qu'il avait peut-être tout complètement sous contrôle ... Il voulait seulement se réconcilier avec lui, pas aggraver son cas en l'agressant !

« Alors... Tout est arrangé. »

Ouf ... tout allait bien ! Étienne était conscient de ce qu'il faisait. Et il lui pardonnait ! Un grand sourire s'afficha sur le visage du jeune homme. Tout était pour le mieux. Ils allaient pouvoir repartir sur des bases saines. Il se sentait léger, débarrassé de toutes contraintes. Il es malaisé d'exprimer le soulagement qui s'empara de lui, lui donnant un grand coup d'optimisme. La vie était rose, il planait dans les nuages, les petits oiseaux gazouillaient rien que pour ses beaux yeux, etc ...
Il regarda avec un émerveillement enfantin les clés de la chambre 2 s'envoler de la poche d'Étienne, pour se glisser dans la serrure, tourner le lourd verrou et faire basculer le battant sur ses gonds.
Il mit plusieurs secondes à réaliser que tout s'était arrêté et qu'Étienne gisait contre le mur de sa chambre. Comment pouvait-on passer en si peu de temps du stade de demi-dieu en pleine exhibition de débauche de pouvoir à l'évanouissement complet ?! Il avait du brûler ses dernières réserves d'énergie jusqu'à la dernière goutte. Il devait avoir désespérément besoin de repos ... Après tout Kiryu l'avait trouvé endormi dans un couloir.
Pourtant le jeune mutant réussit tant bien que mal à se remettre sur ses deux pieds, s'appuyant au mûr comme si le monde tournait autour de lui pour le jeter à terre.
Remarquant la tâche de sang sur sa chemise blanche, Kiryu se précipita pour le soutenir. Il prit précautionneusement le jeune mutant dans ses bras, ignorant ses protestations, et l'allongea sur un des lits ... Il avait une chance sur quatre pour que ce soit effectivement le lit d'Étienne. Et dans le cas contraire, vu les circonstances, le propriétaire laverait ses draps sans faire d'histoires si il ne voulait pas d'ennuis.

Kiryu se passa la main dans les cheveux, embarrassé, n'osant toujours pas regarder franchement Étienne dans les yeux, regardant vers le couloir vide.

" It really was something, back there ... "

Souriant et plongeant son regard dans les yeux verts du jeune mutant, il désigna le sang qui maculait la blancheur de la chemise.

" But it seems you pushed yourself a little too hard ... don't over do it ! "

Il était passé à l'anglais presque sans s'en rendre compte, ayant remarqué que ce devait être la langue maternelle de son compagnon, car malgré sa maîtrise de la langue française, ses commentaires les plus spontanés étaient toujours dans la langue de Shakespeare.
Il s'en aperçut, ainsi que du fait qu'il ne se montrait pas très considéré envers quelqu'un qui venait de lui faire une grande faveur, en riant de sa blessure.
Redevenant sérieux, il demanda :

" Tu as mal ? Tu ne penses pas que tu devrais passer à l'infirmerie ? "

N'attendant pas la réponse, il approcha la main de la chemise d'Étienne, fasciné par le liquide vermeil dont il avait si souvent senti la chaleur sur sa peau alors qu'il s'écoulait de son dos meurtri, et dégoûté par cette odeur si particulière, un peu métallique, qui resterait toujours associée dans son esprit à la perte d'être chers.

" Laisse moi voir ça ... "

Le garçon ne pensait pas que son pouvoir pourrait agir de cette façon, son corps avait été soulevé du sol et dans le même temps le souffle qui était utilisé, tout ce qui faisait que Étienne dominait la situation, le rendit tout à coup serein. Incroyablement calme, il maîtrisait chacun de ses gestes, l'énorme concentration de pouvoir n'était pas contre lui. D'habitude le jeune mutant pensait que son pouvoir agissait en sa défaveur, ou du moins par rapport aux mauvaises choses qui faisaient partie de lui. Cette fois, tout était complet. Il n'était qu'un avec son pouvoir et l'acceptait totalement, il n'était pas quelque chose d'à part, il était tout simplement lui. Sa télékinésie n'était plus un fardeau, elle le soulevait et lui donnait des ailes invisibles pour qu'il se relève, qu'il s'échappe de ce cercle vicieux dans lequel il était enfermé depuis trop longtemps à présent. Pourquoi tout à coup tout semblait si simple et si beau ? Le jeune mutant avait l'impression de vivre un rêve, comme si plus rien ne pouvait le toucher, et encore moins l'arrêter. Jamais il n'aurait pu imaginer qu'une chose pareille pouvait lui arriver, à lui... Évidemment, les autres mutants, comme Kiryu par exemple, montraient tellement d'aisance quand ils utilisaient leurs pouvoirs comparé à lui que le garçon pensait en avoir beaucoup moins. Comme s'il y avait une certaine dose d'énergie en lui et qu'il ne pouvait pas disposer de plus.
Cependant, son pouvoir augmentait, à force d'entraînements et d'erreurs, il parviendrait probablement à avoir une totale maîtrise de celui-ci.
Déjà à ce moment-là, tout était naturel, l'adolescent ne réfléchissait pas à ce qu'il devait accomplir, tout était naturel. Il n'était pas guidé non plus par son don. C'était différent, c'était lui en plus calme, plus mature, presque une vision du futur de ce que serait idéalement Étienne. Bientôt, le jeune psychiste croisa le regard de son professeur et camarade, il lui adressa un sourire confiant. C'est vrai, après tout Kiryu avait sûrement dû lui dire certaines choses sans le vouloir. Et puis, ça n'avait pas réellement d'importance maintenant. Le jeune homme s'était excusé après tout... Alors il ne pouvait pas lui en vouloir. Oui c'était si simple, il ne pouvait que accepter ces excuses, il n'y avait plus de soucis, plus aucun problème. La vie était belle, simple, aussi simple que de faire voler des clés.
Les cheveux du garçon virevoltaient avec le vent, son visage paisible affichait un doux sourire, comme celui d'un enfant qui vient de se réveiller et semble déjà profiter de ce que sera une magnifique journée. À ce moment-là, l'adolescent ne souffrait pas, malgré que ses muscles soient en quelque sorte trop sollicités pour accomplir ce miracle, il ne ressentait aucune douleur, protégé par différentes hormones qui dictaient à son cerveau que tout allait pour le mieux. Alors c'était le cas malgré que les coupures que Sheitan avait fait sur son corps n'étaient pas en accord avec cela.

Cet épisode, si court dans le temps, fut un des plus importants de la vie du jeune mutant, ce n'était pas comme tuer quelqu'un, ni comme ressentir un amour réciproque, c'était bien plus que tout ce qui est imaginable, Étienne avait atteint une sorte de plénitude, qui engendrerait probablement une dure descente. Et en effet, la chute fut des plus rudes.

L'adolescent se retrouva à terre, incapable, inutile, laid. Il se releva quand il en trouva la force, il avait mal à présent et ses jambes tremblaient à nouveau et son regard se perdait dans le vague et la tristesse d'avoir perdu ce qu'il était quelques secondes plus tôt. Il était comme un super héros devant son point faible : impuissant.
Il devait rentrer, retrouver son lit et oublier cette journée, mais Kiryu était encore là. Le garçon sentit soudainement une emprise sur son corps et prit peur.

« Let me alone ! You... »

Quand il s'aperçut que c'était son professeur il ne dit plus un mot. Pourquoi se donnait-il tant de mal pour lui ? Étienne ne lui en voulait plus, mais il ne savait pas quoi penser de lui et son corps douloureux lui demandait de se méfier. Le garçon fut posé sur son lit, celui qui était le plus près de la porte, oui, l'adolescent était toujours prêt à sortir s'il le fallait...

" It really was something, back there ... "

Quoi ? Qui parlait ? Le garçon regarda Kiryu qui l'observait avec insistance... Qu'est-ce qu'il devait répondre ? Il ne s'attendait pas à ce que le jeune homme puisse comprendre sa langue et encore moins la parler... Alors il resta interdit, à la fois gêné par le sens de ses paroles et par le fait que le jeune homme sache une chose supplémentaire de lui. Il avait dû comprendre qu'il était américain...
Et le professeur de sciences continua, il lui indiqua la tache de sang et lui dit qu'il avait trop forcé. Il trouvait cela drôle ? Étienne venait de perdre le plus beau le plus doux le plus incroyable des moments de sa vie...Ce n'était pas drôle... Le garçon voulut lui répondre, mais il ne dit rien, il ne savait pas quoi dire quoi faire, il avait perdu tout sens, toute envie... Il restait là, à regarder Kiryu dans les yeux, essayant de cacher sa souffrance, espérant que tout s'arrange, comme il l'avait dit...

Et le jeune élémentaliste redevint sérieux, il observait tour à tour la tache de sang et l'adolescent, il finit par lui demander s'il ne voulait pas aller à l'infirmerie... Non... S'il y retournait Sheitan risquait de ne pas apprécier et de recommencer... Ou de faire pire... Étienne se rappelait de tout à présent, il avait mal à ventre et à la joue, le docteur l'avait frappé parce qu'il ne voulait rien lui dire et parce qu'il avait failli le tuer... Pouvait-il se défendre de cette façon ? En tuant des personnes pour défendre sa propre vie ? Il le ferait pour Sanzo en tout cas, il le savait.

Étienne n'écoutait plus Kiryu, ne faisait plus attention à ce qu'il disait ou ce qu'il faisait. Il regardait dans le vide, jusqu'à ce qu'il sente deux mains commencer à déboutonner sa chemise. L'adolescent reprit immédiatement ses esprits et posa ses mains sur celles du jeune homme pour l'arrêter.

« Je vais bien, enfin... Je suis déjà allé à l'infirmerie, le docteur m'a dit qu'il allait m'envoyer de quoi me soigner ici si cela se rouvrait. Donc ce n'est pas grave. »

Le mutant hésitait, il avait parlé trop vite et avait failli dire un mensonge qu'il n'aurait pas assumé. Mais la deuxième version était correcte et vraie. Dans tous les cas, il ne retournerait pas à l'infirmerie, il ne pourrait pas. Seulement cela n'empêcherait sûrement pas le jeune homme de regarder ce qu'il avait... L'adolescent retira ses mains de celles de Kiryu avant d'ajouter :

« Je me suis blessé tout seul, mon pouvoir est fluctuant en ce moment et je me suis coupé, le docteur m'a soigné ensuite. Je croyais que j'allais bien alors j'ai voulu sortir pour aller ici mais je me suis endormi et tu connais la suite. »

Sourire, presque rire pour montrer que tout cela n'était rien, que c'était anecdotique en quelque sorte aurait été une excellente arme de défense. Seulement tout cela il ne le pouvait pas. Le visage du garçon resta impassible, sa voix était neutre et parfois hésitante. Le garçon était fatigué, mais rien ne devrait filtrer de son état, il savait que Kiryu était en lien direct avec le corps enseignant... Mais Sanzo ne devait pas être au courant.

« Je m'excuse de t'avoir causé des soucis et je te remercie de t'être occupé de moi. Ça va mieux maintenant. »

L'adolescent continua à observer Kiryu avec sérieux, à chaque fois qu'il respirait la douleur se réveillait, mais il n'était pas question pour autant de se laisser aller. Alors le jeune homme répondit qu'il n'avait pas à s'excuser et ferait mieux de se reposer. Étienne n'eut qu'à hocher la tête pour voir le jeune homme disparaître de sa chambre. Il soupira alors et ferma les yeux après avoir pris la couverture pour dormir. Ce qu'il fit juste après avoir posé sa main sur sa chemise.

Fin de ce post. x3

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