La geste d'Andriael

Commençons tout d'abord par le pourquoi du comment de cette histoire. Comme vous l'avez probablement constaté si vous avez pris la peine de consulter le journal de Kiryu, il y consigne précisément sa vie.
Pourquoi alors occuper de l'espace en squattant une autre rubrique du forum ? Hé bien tout simplement parce que cette histoire je l'ai tout d'abord écrite pour le plaisir, sans aucun lien avec le forum.

Cette histoire, qui sera habilement rattachée à la trame de la vie de Kiryu, sera comptée par moi, narrateur extérieur et omnipotent, et ne saurait donc être consignée dans le journal.
De plus, Kiryu ne garde que de vagues souvenirs de ceci.

Je n'ai que trop parlé. Regardez l'heure ... il est grand temps de commencer !

Le cadran digital de la montre affichait 00h15. Le froid mordant avait obligé le propriétaire de la toquante à gratter furieusement le givre qui l'empêchait de lire l'heure correctement. Il avait les mains toutes rouges alors qu'il ne les avait sorties de ses gants qu'une demi-minute à peine. Il faut bien avouer qu'à un peu plus de 3000 mètres d'altitude, on ne pouvait guère espérer se balader en maillot de bain. Soufflant sur ses mains pour essayer de se débarrasser du picotement désagréable qui s'en était emparé, il se glissa à nouveau dans ses gants et soupira d'aise. Il ne semblait guère souffrir de l'air raréfié, ni du poids du paquetage imposant qu'il portait sur le dos, et qui quelques minutes auparavant lui paraissait aussi lourd que la chaine de l'Himalaya qu'il était entrain de gravir.
Il avait enfin atteint sa destination. Un lieu de paix et de méditation, où n'importe qui était accueilli de la même manière sans poser de question, et où l'on aidait chacun à effectuer un voyage intérieur à la recherche de la sérénité. Bref, le temple bouddhiste de Siddhārtha, perché à 3247m d'altitude si la carte était exacte, et paumé au milieu d'un des endroits les plus hostiles qui soient.

Alors, que faisait un jeune comte français, pas même majeur, seul au milieu de cet impressionnant et impitoyable paysage de rocs acérés et de neige immaculée ? Hé bien il venait tout simplement essayer de tempérer son ardent caractère, qui le poussait bien malgré lui à tout brûler sur son passage à la moindre émotion ou à la moindre saute physiologique qui sont typiques des adolescents.
Et ce qui avait décidé ce romanesque jeune homme à entreprendre un périlleux voyage alors qu'une cabane au fond des bois de sa vaste propriété aurait eu exactement le même rôle, c'est l'influence méconnue de la fiction sur les jeunes individus bourrés d'imagination.
Pas clair ? Je vous aide : film de Christopher Nolan sorti en 2005 avec Christian Bale comme acteur principal, interprétant un milliardaire en quête de vengeance et de justice portant le nom de Bruce Wayne... Vous me dites ? Bingo Batman Begins !
Et comme notre jeune ami l'avait vu des dizaines de fois, il avait trouvé judicieux de faire comme son héros et de s'exiler au plus profond des montagnes, à l'autre bout du monde. Jusqu'à l'instant où cette décision logique, pour lui du moins, s'imposa à lui, il n'avait qu'erré sans buts aucuns, et il s'attela à cette tâche avec ardeur.

Trop d'ardeur... Il y avait passé toutes ses forces, et les derniers pas qui le conduirent à la porte sapèrent ses dernières résistances, bien qu'il lui ait semblé bien plus faciles. Il s'effondra contre le gong qui servait à annoncer les nouveaux arrivants dans un grand DOOONG sonore, alors que sa tête encapuchonnée heurtait violemment le métal.

Réveillés par le bruit inhabituel en ce lieu reculé, les moines accoururent et transportèrent le jeune homme inconscient jusqu'à l'une de leurs chambres. Il le déshabillèrent ~~et abusèrent de son corps, profitant qu'il ne pouvait se défendre~~ (it's a joke), appliquèrent onguents et cataplasmes sur ses contusions et les débuts d'engelures qui apparaissaient sur les orteils, et l'installèrent confortablement sous une tonne de couvertures. Ils décidèrent de le laisser dormir. Vu les cernes violacés qui creusaient son visage, il devait être exténué.

Deux jours s'écoulèrent, et le jeune homme ne semblait pas vouloir émerger de sa torpeur comateuse. Peut-être s'était-il cogné la tête plus fort qu'il ne l'avait pensés et que son état était grave !
Il se décidèrent à fouiller dans ses affaires pour prévenir l'ambassade de son pays natal de la sériosité de son cas et de la nécessité de le faire évacuer. Ils trouvèrent un passeport français, au nom de Kiryu Heartgraves. Un nom qui ne sonnait à vrai dire guère français ...
Ils contactèrent l'ambassade française de Lhassa, mais on leur répondit qu'il n'existait personne de ce nom là dans les registres d'état civil.

Ignorant l'agitation qu'il avait créée, Kiryu baignait dans la plénitude de l'inconscience. Il rêvait.

Une énième bataille. L'odeur du sang, les cris de rage des combattants, les râles d'agonie des mourant, la peur et la mort qui planaient avec les vautours, prêtes à se repaître des destins fragiles de centaines d'hommes.
Andriael avait vu trop d'horreurs pour s'en émouvoir. Ne pas regarder les yeux ternes des cadavres, le ruissellement du sang. Ne pas se laisser distraire par le bourdonnement des essaims de mouches qui passaient de carcasse en carcasse. Esquiver et frapper. Tuer pour ne pas être tué. Être plus rapide, plus agile. Pour survivre ...

Il s'était enfoncé dans les lignes adverses, se coupant du reste de son unité. Il planta son épée dans le cou du chevalier qu'il venait de mettre à terre, à la jointure de l'armure et du heaume, là où la cotte de maille était la plus fragile. Comme tous les sorciers de bataille d'Ellesméra, il avait été formé dès son plus jeune âge à la magie bien sûr, apprenant à maîtriser le don qui bouillait en lui, mais aussi aux arts de la guerre.

Les enfants qui présentaient des aptitudes à la magie était arrachés à leur famille avant l'âge de 7 ans, le don se manifestant généralement aux alentours de leur cinquième anniversaire. Pour le parents, c'était une grande joie. Leur progéniture aurait tout ce dont elle aurait besoin et bien plus encore, et elle servirait le pays au plus prestigieux des postes. Mais pour les enfants c'était une autre paire de manches. Comment pouvaient-ils comprendre que leurs parents faisaient ce qu'il estimaient être le mieux pour eux ? Ils avaient simplement l'impression d'être abandonnés ...
Ils passeraient pour les dix prochaines années l'essentiel de leur temps à l'académie de formation des mages, à Oakcliff, la capitale, où leur était dispensé dans un cadre enchanteur le savoir dont ils auraient besoin pour accomplir leur tâche. Les murs de pierre ocre seraient leur foyer et les seuls aperçus du monde extérieur qu'ils auraient, hormis les cours théoriques, seraient dues aux meurtrières qui donnaient sur les toits de la ville.
Enfin, à l'âge de 17 ans, ils étaient testés devant l'ensemble de leurs pairs, leur spécialité leur étant alors révélée, et se voyaient décerner leur diplôme. Toutefois, il leur faudrait encore 5 années de formation avec un mentor, le temps d'explorer le monde, avant de se voir décerner le titre de mage. Les mages spécialisés dans les soins, eux, continuaient leurs études auprès des médecins au lieu de vagabonder.

C'est ainsi qu'après 12 années d'entrainement, Andriael savait aussi bien manier la hache que l'épée, pouvait toucher une cible à 100 pas à l'arbalète, connaissait les rudiments de la stratégie militaire et pouvait incanter bon nombre de sorts destructeurs ou curatifs. Les sorciers de bataille étaient la fierté d'Ellesméra, l'atout qui avait permis à ce petit pays de vivre en paix pendant des siècles alors que ses voisins s'enterraient dans de longues années de conflit. Les sorciers de batailles étaient une dissuasion suffisante pour couper les avides appétits des monarques qui s'intéressaient au petit royaume prospère.

Le jeune homme retira son casque pour essuyer le sang qui avait giclé sur son visage. Il était loin le temps où les sorciers de batailles se concentraient exclusivement à l'exploration des limites de la magie et le maintien de la paix. il entendit le sifflement caractéristique d'un carreau d'arbalète et se jeta à terre. Le trait passa au dessus de sa tête. Il n'eut pas le temps de se relever. Deux soldats le chargèrent. Il roula sur le côté pour éviter un coup d'épée qui l'aurai probablement coupé en deux, arma la jambe et frappa son assaillant derrière le genou qui craqua dans un bruit écœurant, le jetant à terre. Il esquiva l'attaque du second in extremis et se releva d'un bond, profitant du déséquilibre et de la surprise de son adversaire qui croyait le tenir à sa merci. Surprise très passagère puisque ce dernier se jeta à nouveau à l'attaque.
Andriael para la première botte, feinta, et avança d'un pas pour gêner son adversaire qui, plus grand, avait beaucoup plus d'allonge. Il désarma son opposant d'un violent coup au poignet et l'éventra d'un fouetté rapide. Il se dirigea calmement vers l'autre soldat qui gisait au sol, prostré, et l'acheva d'un coup.
Aux premiers jours de la guerre, il avait essayé d'éviter de tuer, répugnant de devoir ôter la vie même pour défendre la sienne. Mais la plupart des hommes qu'il avait ainsi épargné s'étaient aussitôt retournés contre lui. Il ne commettait plus cette erreur. Une longue cicatrice courrait le long de son dos, lui rappelant sans cesse que la pitié était une faiblesse en temps de guerre.

La pitié ... Encore un chose dont le souverain du royaume voisin de Tséophle avait privé Ellesméra. Huit mois plus tôt, le roi Actios avait déclaré la guerre et ses troupes avaient immédiatement attaqué, pillant les villages, incendiant les cultures, massacrant vieillards et enfants, violant les femmes et semant la terreur sur leur passage, tout au long de la frontière. Ce n'était pas une guerre de conquête, c'était une guerre de destruction.
Le roi Tealc envoya toutes les troupes basées à proximité pour défendre la population et écraser les assaillants. Ils étaient accompagnés d'un contingent de sorciers dont la spécialité était essentiellement les soins et la barrières de protection.
Mais ils n'étaient pas préparés à tomber sur des mages noirs ... Les nécromants virent rapidement à bout des sorts défensifs des sorciers de bataille, et, sans soutien magique, les braves soldats croulèrent sous le nombre et les sorts des Tséopliens. Dix chevaliers et un mage grièvement blessé, sales, dépenaillés et affamés, furent les seuls à réussir à revenir jusqu'à la capitale.
Face à cette crise sans précédent, le roi rappela tous ses chevaliers et tous les sorciers de bataille pour qu'ils participent au recrutement et à l'entrainement de nouvelles troupes. Les garnisons des différentes places fortes du pays furent renforcées et les bataillons convergèrent vers Oakcliff. Pour gagner le temps nécessaire au départ en campagne de son armée, Tealc engagea à grand coût des troupes de mercenaires, qui engagèrent l'armée ennemie alors qu'elle faisait route vers l'un des sites sacrés du pays, Glastonedge, où l'on vénérait Nikae, déesse de la nature, de la sagesse, et de la guerre. Il n'eut jamais à payer leur solde. Ils furent exterminés jusqu'au dernier.

Au sein de la guilde, le chaos provoqué par la nouvelle de l'apparition des nécromants avait divisé les sorciers en deux clans.
Les plus jeunes, bercés d'idéaux de justice, voulaient accompagner l'armée pour préserver la paix du royaume.
Les plus anciens, dont faisait partie les neufs Archimages qui dirigeaient la guilde, s'y refusaient.
Les grimoires relataient qu'en des temps immémoriaux, une grande guerre avait opposé les sorciers du bien, dont les sorciers de bataille descendaient, aux forces démoniaques, invoquées par les nécromants. Au prix du sacrifice des neufs Archimages de l'époque, les chefs spirituels de l'Ordre, comme les sorciers d'alors se faisaient appeler, dont les pouvoirs phénoménaux dépassaient de loin l'imagination des sorciers actuels, le portail ouvert entre le monde des vivants et les Enfers avaient été refermé, renvoyant tous les démons dans les limbes et tuant les nécromants qui servaient de vecteur magique pour le maintenir ouvert. La guerre avait ainsi été remportée à grand coût.
Depuis ce temps, le don se faisait de plus en plus rare, et de plus en plus faible. Les sorciers actuels n'étaient que l'ombre de leurs glorieux prédécesseurs. De plus, tuer un homme affaiblissait le pouvoir des sorciers.
Au contraire, les nécromants, qui ne naissaient pas avec le don mais le recevaient en pactisant avec les forces des ténèbres, voyaient leur pouvoir grandir au fur et à mesure de leurs tueries. Les pouvoirs des serviteurs des ténèbres pouvaient aisément transpercer les sorts des défenseurs de la lumière.
Quelle chance avaient alors les sorciers de l'emporter ?

Les espions du roi revenaient chaque jour avec des nouvelles inquiétantes. L'armée d'Actios stationnait à Glastonedge. Au dessus de la colline, le ciel restait d'un noir d'encre quel que soit le moment de la journée, et un immense pentacle se dessinait au gré des litanies des mages noirs. Accompagnant les espions, l'un des Archimages reconnut la description faite dans les archives du sortilège de portail qui avait permis aux démons de se répandre.
Toutefois, le Conseil refusa toujours d'intervenir et interdit aux sorciers de s'en mêler. Ils voulaient retrouver et renouveler l'incantation qui avait permis, des centaines d'années plus tôt, de mettre fin au cauchemar. Sauf que cette fois, il faudrait sacrifier plus de neuf personnes. Beaucoup plus ...